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Interview de Dominique A le 21/11/2002 à St Etienne
Propos recueillis par le Stéphane P. (aka Gros Boris) et Isabelle R.
Illustrations Géraldine P.


Dominique, avant de rentrer dans le vif du sujet, concernant ta rencontre avec Stephen Merritt, tu avais dit qu'il vaudrait mieux ne jamais rencontrer les gens dont on est fan... Est-ce que tu penses que là on prend un petit risque ?

Interview de Dominique A le 21/11/2002 à St Etienne
Propos recueillis par le Stéphane P. (aka Gros Boris) et Isabelle R.
Illustrations Géraldine P.

Stéphane : Dominique, avant de rentrer dans le vif du sujet, concernant ta rencontre avec Stephen Merritt, tu avais dit qu'il vaudrait mieux ne jamais rencontrer les gens dont on est fan... Est-ce que tu penses que là on prend un petit risque ?

Dominique A : Un gros risque même ! je ne sais pas... oui, non, je pense qu'il faut pas rencontrer les gens qu'on aime trop (rires) encore que lui je ne l'idolâtrais pas non plus, mais c'est vrai que c'est un personnage hyper particulier, assez.... assez, comment dire... j'avais entendu des histoires aussi sur lui, donc y'avait des rumeurs comme quoi... enfin il est un peu.... Un peu barré quoi !
Mais c'est vrai que c'était vachement troublant parce que tu es amené à faire quelque chose avec quelqu'un dont tu écoutes les disques et en fait y'a pas de rencontre possible, donc c'est assez troublant.

S : On va procéder un peu chronologiquement, dans les années 80 donc, avant l'objet qui nous intéresse, tu étais dans plusieurs groupes, notamment John Merrick enfin c'est peut-être celui qui a le plus marqué ?

D A : Ouais ben avant, ça a pas vraiment d'importance, déjà John Merrick ça a à peine... oui enfin disons que John Merrick c'était un trio de copains, on faisait de la new wave et c'était euh... je pense que les concerts que j'ai faits à ce moment-là m'ont quand même beaucoup beaucoup mis de plomb dans la tête et je pense que mon attitude sur scène aujourd'hui n'est pas très très -enfin avec un peu plus d'expérience mais ça fait pas tout- je pense que j'avais un petit peu le même comportement sur scène...
Ouais ben c'était... c'était... que dire de John Merrick, c'était une bande de copains, mais c'était une période où y'avait rien en France pour ce genre de groupe, y'avait même pas, enfin c'était même pas embryonnaire, c'est-à-dire que la scène indépendante n'existait pas en tout cas en France c'était sous le mouvement alternatif, et donc y'avait vraiment tout à faire, dans le meilleur des cas tu faisais une partie de Marc Seberg et puis voilà...
T'étais content si tu jouais à Rennes, t'avais l'impression d'être arrivé à quelque chose et donc... c'est une période vraiment très très différente, mais y'a beaucoup de gens aujourd'hui qui sont arrivés dans les années 90... avant j'étais un petit peu contre le discours de vieux con qui dit qu'il faut un peu galérer et faire un peu ses armes pour arriver devant les gens, je disais "non, si t'as quelque chose à donner, tu peux donner d'emblée"...
Mais aujourd'hui c'est vrai que... je pense que ça a eu un effet pervers c'est-à-dire que dans les années 90 du coup y'a eu beaucoup de groupes, beaucoup de gens qui ont émergé, qui sont arrivés avec les disques qui n'avaient jamais fait de scène, et je pense que finalement ça a vachement nui à cette scène française dite indépendante parce que les gens tenaient pas la route sur scène, et donc c'est ce qui fait aussi un petit peu le tri.

S : Ce qui nous intéressait de savoir c'était que tu as été dans des groupes et donc à un moment donné tu as décidé que ça allait se passer en solo, et à quel moment tu t'es dit que bon, même si c'était des potes à toi, tu avais envie de faire ton truc...

D A : Ben en l'occurrence, j'aurais bien continué avec eux, mais l'un d'eux est parti vivre en Angleterre pour travailler dans la restauration ! donc c'était deux frères et moi, et on était cul et chemise et j'imaginais c'est comme quand tu vis une histoire avec quelqu'un t'imagines que tu puisses vivre avec quelqu'un d'autre, ben moi c'était pareil, j'étais avec ce groupe-là et je pouvais pas imaginer refaire un groupe, avec d'autres gens, donc je me suis dit "je vais essayer tout seul", et le fait est que j'avais des envies de clavier...
Nous on était en formule rock et j'imaginais un truc très intimiste en fait, avec des p'tites boîtes à rythmes, des p'tits synthés, et donc je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais de concrétiser ça, auparavant après le groupe j'avais fait un 45 Tours immédiatement après, parce que je voulais absolument fabriquer des objets, enfin j'étais fasciné par l'idée de faire des vinyles, puisque le groupe n'était pas parvenu à ça, dans la foulée tout de suite je me suis dit qu'il fallait que je fasse ça, me sortir un peu de cette histoire et de ce groupe, que je fasse un vinyl. Alors j'ai fait un auto-produit (ndlr : Les Ephémérides) et donc j'en ai encore 600 exemplaires chez mes parents

S : Tu rachètes ceux qui circulent ?

D A : Volontiers, je les brûle... j'ai contribué à l'élargissement du trou d'ozone en brûlant les 45 tours des éphémérides ! (rires)
Suite à cette expérience, j'ai commencé à m'équiper de petits claviers, un jour j'ai acheté un clavier avec lequel j'avais l'impression que tout était là, c'est-à-dire que j'allais enfin m'amuser. Il y a un morceau sur le coffret qui est le dernier morceau qui s'appelle L'Attirance duquel tout est venu, c'est-à-dire que ça a été le premier morceau que j'ai fait comme ça avec une espèce de boîte à rythmes et un petit clavier et c'est à partir de ce morceau-là que j'ai commencé à concrétiser mon fantasme de pop post-Suicide, post-Soft Cell et post-Polyphonic Size justement des choses que j'écoutais à l'époque.

S : En 1991 il y a Le Disque Sourd auto-produit à 150 exemplaires.

D A : Là encore c'est toujours pareil, c'est... qu'est-ce qui me fait avancer encore aujourd'hui ? c'est l'idée de produire quelque chose de tactile, matériel.
La musique c'est quelque chose de complètement immatériel et ce qui me pousse à rentrer en studio, il y a vraiment ce côté de fabriquer un objet matérialisé. C'est à chaque fois le truc moteur. Le Disque Sourd c'était ça, j'ai fait des cassettes avant et je savais que je devais faire un de mes trois concerts annuels fin des années 80-début 90, là je me dépêchais de finir une cassette pour la vendre à mes copains. Le disque sourd c'était pareil. J'avais peut-être 2, 3 concerts en prévision et je me disais produire un disque vite. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré un mousquetaire, Vincent Chauvier, Le Disque Sourd était en cours de pressage. Eric qui a formé PERIO après et qui est un copain d'adolescence et avec qui j'avais des maquettes avait filé une cassette à Vincent qui travaillait dans un magasin de disque et qui montait son label qui lui avait fait écouter ce qu'il faisait et qui lui avait filé ma cassette et là Vincent était très intéressé et c'était assez marrant pour lui parce que lui était parti dans un truc très noisy pop, post-Sonic Youth et il s'est retrouvé avec sa ligne de conduite légèrement infléchie et il a mis un petit peu de temps -parce qu'il n'avait pas beaucoup d'argent- à vraiment se décider.
Moi je voulais sortir quelque chose de brut, je ne voulais absolument pas passer en studio, mes bandes étaient finies, et pour moi passer en studio c'était confronter son travail à des oreilles ennemies et donc perdre beaucoup de choses. On sortait des années 80, tous les ingénieurs du son se prenaient pour des producteurs, pour Steve Lillywhite. Je voulais quelque chose de très sec et très brut et Vincent n'avait pas beaucoup d'argent, ça l'arrangeait bien et le son il s'en foutait comme de l'an 40. On avait cette espèce d'inconscience qui a fait que La Fossette a pu exister et aussi le coup de fil de Viviant à qui Vincent m'avait recommandé d'envoyer Le Disque Sourd (Arnaud Viviant qui entre-temps a revendu Le Disque Sourd). Viviant s'est manifesté en disant que ça l'intéressait et ça a convaincu Vincent dans l'idée qu'il n'était pas le seul à éventuellement pouvoir entendre ça. J'avais quelques concerts entre-temps et c'est vrai qu'il y avait un côté genre je provoquais beaucoup les gens.

S : Tu continues d'ailleurs...

D A : Oui mais beaucoup moins qu'avant , parce que maintenant il y a une sympathie, j'essaie de ne pas rentrer dans la systématique de la provoc ou dans celle de la complaisance. A l'heure actuelle c'est des fois un problème pour moi de trouver le bon truc, suivant les soirs des fois quand j'y arrive pas je dis rien en général.

S : Avec le recul, ce premier album...

D A : La Fossette ? J'aime beaucoup La Fossette. Je le dis souvent je n'ai pas de problème avec ce que j'ai fait, j'ai plutôt une franche sympathie pour mes travaux antérieurs, parce que je pense que j'ai un bon regard dessus. Je trouve déjà bien d'être parvenu à finir les choses, c'est un truc récurrent chez moi et après, les erreurs qu'il y a dedans je les assume.
Je suis plutôt du genre à aligner tout sur la table et puis après je propose et les gens disposent. La Fossette c'est une vision un petit peu idéale parce qu'il y a une espèce d'inconscience derrière tout ça. On avait un langage très revendicatif en même temps, très combatif, très remonté et c'était assez rigolo de voir à quel point une musique aussi douce pouvait susciter autant d'animosité par moments et moi je m'amusais beaucoup avec ça.

S : On enchaîne sur Si Je Connais Harry en 1993, l'album sur lequel tu es le plus critique...

D A : Il n'est pas très réussi, il y a un maillon faible au milieu avec l'enchaînement de morceaux Otto box/Pignolo qui versent de l'eau au moulin d'une certaine image un peu gnangnan. Pour moi ces morceaux sont régressifs, c'est le même mécanisme que le fait d'aller voir la soirée gloubiboulga. Donc c'est des morceaux qui me posent vaguement problème.

Isabelle : Justement à l'époque qu'est-ce qui a motivé l'écriture de ces morceaux ?

D A : Comme j'étais parti sur une image de poète maudit et torturé, je voulais vraiment rompre avec ça. Mais c'est très mauvais de faire de la musique en fonction d'une question d'image et aujourd'hui tout le monde fait ça, c'est-à-dire que les gens se focalisent sur l'image. Ce que je n'aime pas dans les chansons dont on parle c'est que ça sent trop l'intention, et en plus j'ai forcé le trait et finalement sur scène j'aimais revenir à mes chansons tristes. Finalement Si Je Connais Harry était un disque que je n'avais pas forcément envie de jouer devant les gens alors que c'est un disque qui devait servir à faire beaucoup de scène et assez rapidement je me suis désolidarisé de ces chansons un peu légères parce que je ne peux pas aller sur scène avec des trucs qui a priori ne portent pas à conséquence.

S : C'est sur cet album que Françoiz apparaît : comment est née la collaboration ?

D A : On avait un groupe à l'époque qui s'appelait "Squad Femelle" et j'ai toujours dit à Françoiz au début quand on s'est mis ensemble "je te préviens... chasse gardée !" je pensais que c'était quelque chose d'inconcevable de faire des choses ensemble, donc ça a été une surprise, Françoiz me donnait des idées... toute l'évolution qu'il y a eu avec Françoiz est liée au fait qu'après elle m'a accompagné sur scène et que les réactions de gens étaient de plus en plus fortes et que je n'avais pas cette peur qu'elle s'approprie trop les choses.

S : Tu sors La Mémoire Neuve en 1995 . A quel moment tu as senti qu'il y avait un succès potentiel avec cet album ?

D A : La date clé ce serait le Théâtre de la Ville, deux mois avant la sortie du disque. Je voulais entrer dans un truc très conventionnel, je trouvais que jusque-là je ne jouait que sur le recul, la distance et je voulais être immergé dans ce truc. Je remettais vraiment les clés de la maison à l'ingénieur du son, même quand on mixait, il y avait des genres de choses que je n'aimais pas et je n'en disais rien, je me disais "il faut que tu acceptes ça" le son de ma voix je ne l'aimais pas. C'était un peu l'ouverture tous azimuts. En studio, je sentais que ça pouvait plaire à des gens mais il n'y a pas eu de... ça a été au Théâtre de la Ville que j'ai vu qu'il y avait vraiment une attente des gens par rapport à un disque. Après, l'histoire du disque ça a été une histoire presque idéale, puisque ça a été assez progressif.

S : Sur cet album, le son a pris de l'ampleur, c'était une question de volonté, de moyens ?

D A : Non, non, si tu veux les quatre premiers disques que j'ai faits, il ont dû coûter le prix d'un disque sur une major, si tu additionnes les coûts de production de La Fossette jusqu'à Remué on arrive environ à 600 000 F. Pour cet album, il y avait plus d'argent mais de toute façon j'ai toujours eu l'impression qu'on me donnait les moyens que je voulais par rapport à ce que j'avais envie de faire. L'ampleur du son c'était tout simplement parce que je travaillais avec Gilles Martin qui a un son très typé. Son type de production convenait tout à fait au type de chansons que je voulais faire. On était enfermés dans une petite pièce dans un coin du studio, ouverte pour l'occasion. On était vraiment en circuit très fermé lui et moi. Tous les enregistrements, je cherche ça. Je cherche à ce qu'il y ait une complicité maximale avec 1 ou 2 personnes et chaque disque est le fruit de cette complicité.

S : Tu n'as pas envie de renouveler ces collaborations ?

D A : Le truc c'est que j'aime bien l'idée que chaque disque est un recommencement. Des fois j'ai des tentations mais j'ai peur du mécanisme d'autosatisfaction et puis il y a tellement de gens avec qui travailler.
Par rapport à la scène c'est différent, j'aime bien l'idée de constituer un gang, parce que la scène c'est avant tout des rapports humains. Au-delà du concert c'est tout ce qui se passe autour.
Je considère que quand on est en solo, seul maître à bord, genre auteur-compositeur, si tu ne remets pas ça en cause à chaque fois, tu vas marcher sur tes plates-bandes. Il faut donner l'illusion que c'est un perpétuel recommencement. Il faut que ce mensonge-là soit motivé par des rencontres, parce que je sais que c'est un mensonge, je sais que je suis condamné à refaire La Fossette, La Mémoire Neuve, Remué, Auguri ad vitam aeternam... C'est presque la même chose pour moi. C'est que des histoires de moyens, de rencontres, d'arrangements. L'idée du coffret c'est ça : brouiller la discographie pour montrer... j'aime bien l'idée que L'Echo aurait pu se retrouver sur Auguri...


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