Quelques Lumières / Interview Dominique A

Dominique A en interview - Quelques lumières

Une interview avec Dominique A, c'est souvent l'assurance que toutes les questions que l'on se pose vont être abordées. Il a toujours été disponible et généreux avec nous, et même si quelques lignes sont griffonnées sur un papier, telle une trame pour notre conversation, le temps fait son oeuvre, et l'interview se déroule comme souvent, fluide, posément, Dominique A prend le temps d'aborder tous les sujets que l'on souhaite. Pour cette interview, l'idée de départ portait sur le double album Quelques Lumières, sa relation avec David Euverte, avec Yann Arnaud et Gérard de Haro (à la production), ses envies pour la prochaine tournée, quelques allusions pour la suite... Cela faisait un moment que l'on ne s'était pas retrouvé pour un entretien estampillé CCV, mais plus de 30 ans de carrière et la sortie de Quelques Lumières, ce triple vinyle rétrospectif, voici de bonnes occasions de se retrouver autour d'une table, un vrai plaisir pour nous.


 

 Extraits musicaux, avec l'aimable autorisation de Cinq 7

Quelques Lumières, tout part d’une invitation de la Comédie et de l’Orchestre de Chambre de Genève, et de 3 concerts donnés en mars dernier. Mais le disque a été enregistré à part. 
Oui c’est ça. Au début on ne savait pas trop comment faire car c’est évidemment un projet onéreux. Il y avait cette série de concerts au départ (3 concerts en mars 2024 à la Comédie de Genève), et rapidement on s’est dit que l’on allait les enregistrer sinon on allait le regretter, quitte à refaire les voix ensuite car c’était périlleux en termes de son. C’est vrai que ce genre d’évènement suppose de se diviser en deux, en même temps tu fais le concert, et d’autre part tu enregistres. Tout cela tombait bien car je voulais revenir sur de vieux morceaux, les recréer, un truc rétrospectif et pas travailler sur un nouvel album qu’avec de nouveaux morceaux. Du coup j’ai commencé à parler du projet à Cinq 7. Le projet en version plus intime était aussi dans ma tête depuis un concert que j’avais fait avec Julien Noël pour Fnac Live en juillet 2018 à l’Hôtel de Ville de Paris. On l’avait refait pour Télérama d’ailleurs. Cela m’avait beaucoup plu, notamment parce que je lâchais la guitare par moments. Et je m’étais dit qu’il fallait que l’on tourne vraiment comme ça. Bon entre-temps y’a eu la tournée du Monde Réel. Et de fils en aiguille, cette formule me paraissait adaptée en complément de celle orchestrée, de faire quelque chose de plus global, avec plus de morceaux, que l’on n’aurait pas eu le temps de travailler avec l’orchestre ou qui n’auraient pas été adaptés à une version symphonique. Cette formule réduite permet aussi de faire vivre un disque, car on va tourner en 2025, donc le disque va continuer sa vie via le trio. Le duo est devenu un trio, car je me disais qu’en formule duo j’allais devoir fournir pas mal à la guitare. Durant la tournée du Monde Réel, il y avait une belle interaction entre tout le monde, et particulièrement entre Julien et Sébastien Boisseau, ça fonctionnait très bien entre eux. Du coup on lui a proposé de nous rejoindre. Et comme pour celui de Memento, on a enregistré le disque chez Gérard de Haro, où il y a un son particulièrement adapté à cette formule en trio, très simple, très nu, sans beaucoup d’effets. 

Dominique A Fnac Live

Il n'y a aucun effet sur la voix sur les deux disques ?
Si si, il y en a mais c’est très discret oui. Notamment sur le disque symphonique, Yann Arnaud a dû bidouiller, on ne l’entend pas vraiment, mais il y en a, ce qui permet à la voix de bien rentrer. On avait un écart entre les niveaux de l’orchestre et celui de la voix. Mais ça ne s’entend quasiment pas, ou alors sur certains passages comme quand ça part sur La Mémoire Neuve, il y a une réverbération très longue sur la voix, mais elle est noyée par le volume de l’orchestre. Sur le trio ce n’est pas un problème, en fait on l’a enregistré beaucoup en live, en quatre jours. Mais là on a deux écoles complètement différentes. Yann Arnaud, c’est l’école pop, avec notamment du traitement de la musique et celle de Gérard de Haro c’est l’approche jazz, centrée sur la prise, sans équalisation, les niveaux restent tout le temps à zéro. Après au mixage ça peut bouger pour rattraper quelque chose...
J’aime beaucoup ça, ce n’est pas adapté à tous les projets, mais là en l’occurrence ça fonctionne. Par exemple le son du piano, ou même sur les voix, ça donne quelque chose qui m’est très agréable, par l’implantation micro / voix avec Gérard, cela donne un son très doux. Yann et Gérard sont deux mecs que j’adore, avec deux méthodes vraiment différentes et je trouvais justement que c’était bien de ne pas avoir à confier le projet qu’à une seule personne. Au début Yann a manifesté son envie de couvrir aussi le disque en trio mais je voulais que l’on soit sur un autre son, une autre approche.
Pour l’orchestre on a voulu tout mélanger, les concerts et l’enregistrement. Et après les 3 concerts de Genève, l’orchestre était rodé, et donc deux jours après, on a pu enregistrer. Le chef d’orchestre Raphaël Merlin et son assistant Mathieu Bornati avaient très bien bossé, il y avait beaucoup d’interactions entre David Euverte, qui a écrit les arrangements, Yann Arnaud, on avait un bon esprit de collaboration entre tous, vraiment. Bosser avec un orchestre classique c’est en général un autre monde, et là ils étaient vraiment supers, très impliqués. Leur fonctionnement est particulier, ce sont des services de 3 heures, en deux fois, c’est très précis. 17 morceaux ont été arrangés, donc on en joue 17 en concert, mais on en a donc écarté 3 qui nous semblaient un petit peu plus faibles en termes d’arrangement ou qui faisaient doublon avec d’autres. Il a fallu faire des choix car tu ne peux pas déborder avec un orchestre. Le jour de l’enregistrement, on a dû commencer à 9h30, mais à 17h30 tout le monde avait plié les gaules. On avait un dernier morceau, Cap Farvel, il aurait fallu 10 minutes de plus, mais on n’a pas pu le faire. On a juste fait le final, qui était super, mais que l’on n’a finalement pas utilisé, mais bon c’est comme ça.
Quand il y a autant de gens il faut des règles très strictes. Il y avait certainement des musiciens qui n’auraient pas été contre l’idée de faire 10 minutes de rab, mais d’autres pour qui c’était hors de question, et tu ne peux pas mettre les gens en conflit, et donc tout le monde se pliait à ces horaires-là.
En 5h 30 de temps réel, ils ont réussi à faire 14 morceaux, c’était vraiment l’abattage, ils ont certes l’habitude, mais c’était chaud quand même. Ce jour-là, je n’avais plus du tout de voix, on a enregistré la voix après. Au final 3 titres ont été écartés : Sous la neige, le premier arrangé par David, ce n’était peut-être pas le mieux, Cap Farvel et Manset. Manset c’était beaucoup du piano voix, donc bon…

Manset, du coup le titre ne s’est pas retrouvé sur disque en trio ?
Non plus. En quelque sorte sa chance était passée. Il y a aussi un truc d’usure sur les morceaux. Le seul morceau qui ait basculé, que l’on devait travailler avec l’orchestre et qui ne l’a pas été, c’est Tout Sera Comme Avant. Et d’ailleurs bien nous en a pris parce que la version trio me parait très bien. Si on l’avait faite en version orchestrée, on se serait rapproché de la version d’origine, et David n’était pas très inspiré car il aimait beaucoup les arrangements de la version initiale. Du coup on l’a mise de côté, je me suis dit mince. Quand on l’a travaillé en trio, on l’a un peu dévitalisé, le chant est différent, et là je me dis qu’on tenait la bonne version. Au départ il y avait pas mal d’effets sur la voix, et avec Seb on a demandé à Gérard de retirer la réverb. Le truc est tellement resserré, intime, que la réverb annulait la proximité entre nous, et je trouve que cela fonctionne vraiment mieux sans effet. 
Autant pour l’orchestre, c’était beaucoup d’organisation, de décisions avant de se lancer, autant avec le trio c’était très libre. On a buté sur certains morceaux et on ne les a pas mis, d’autres qui n’étaient pas prévus ont été ajoutés, Valparaiso, par exemple, ce n’est pas une impro, mais on ne l’a pas répété. On butait sur Music-hall, on n’y arrivait pas, après un repas à midi, j’ai proposé de se lancer sur un titre avec une structure très simple, on ne répète pas et on y va. On a fait la prise, et c’est celle-là.

Comédie de Genève / Mercredi 27 avril 2024 © Comment Certains Vivent

Merci de nous demander notre autorisation avant utilisation de l'une de ces images

Ce sont deux approches très différentes au final. 
Ah oui complètement. D’ailleurs mon label Cinq 7 se posait des questions et pensait que le projet serait difficile à vendre car pas assez cohérent pour eux. Et je leur répondais que pour moi si, justement, c’est du jeu acoustique dans les deux cas, sans amplification électrique mis à part une guitare comme ça de temps en temps. Et pour moi, cette approche du son est dans la continuité du travail effectué sur Le Monde Réel, sur les dynamiques, le fait de ne pas écrabouiller la musique, une approche qui tient plus du classique ou du jazz que du rock. Ce n’est pas une approche que j’aurai tout le temps pour la suite, mais bon, je me suis bien éloigné du rock quand même, et ce n’est pas parti pour s’améliorer (rires). Actuellement je n’écoute que des disques instrumentaux, ECM, hyper atmosphériques, dès que ça s’énerve ça m’agace. Là j’ai recommencé à retravailler sur quelques morceaux, bon je m’en éloigne un peu, mais quand même. 

Concernant les arrangements de David Euverte réalisés pour le disque orchestré, comment ça s’est passé ? Vous vous êtes un peu éloignés de ce qu’il avait proposé, ou c’était plutôt carte blanche ? 
Il avait carte blanche. Il y a des choses que j’ai laissé passer, il y a des choses qui ont été reprises de but en blanc avec Yann qui savait parfaitement déchiffrer ses partitions, lui qui connait bien David. C’est pour ça que c’était bien de bosser avec Yann car il est capable de réagir à la partition avant d’entendre quoi que ce soit. Des fois ce n’est pas évident de se faire une idée avec les maquettes, donc il fallait de temps en temps certains ajustements. Ou pas.
Par exemple pour Corps de ferme à l’abandon, ça s’est fait d’une traite, pour moi c’est peut-être la plus réussie niveau arrangements, et quand j’ai reçu la maquette, j’ai dit « pour moi c’est bon, on ne bouge pas ». C’est très plaisant. Mais c’est aussi parce qu’il avait déjà travaillé sur toutes les autres, et David a terminé par celle-là. Il a débuté par Sous la neige, c’était le début, et même s’il avait déjà fait des arrangements, écrire pour un orchestre, c’est différent. 
D’ailleurs un jour il m’envoie un sms en me disant : « j’ai l’impression d’être aux commandes d’un boeing 747 avec le manuel de pilotage entre les mains ». Voilà. C’était un travail de dingue. Et ça n’a pas été tous les jours du plaisir pour lui. Parfois en tournée, dans le tour bus de la tournée du Monde Réel, je me levais dans la nuit, et je le voyais bosser sur ses partoches à 4h du mat. 

Du coup finalement il n’y a pas eu de modification des arrangements lors des sessions avec l’orchestre ?
Si mais c’était de l’ordre du détail, de petites erreurs d’annotations, rien de bien significatif, avec Yann, ils avaient vraiment blindé le truc. Le chef d’orchestre et son assistant n’étaient pas particulièrement indulgents, et pour eux c’était bien écrit. Sur certaines partitions, certains instruments se retrouvaient parfois en limite, de tessiture, de hauteur de note, mais trois fois rien. Après comme on avait dès le départ décidé de ne pas avoir d’accompagnement électrique pour soutenir la chose, de type basse, batterie, on s’est demandé s’il ne fallait pas quand même du liant, et le liant c’est finalement le piano et la harpe qui l’amènent. Avec la harpiste, c’était marrant d’ailleurs, elle s’appelait Domenica, donc forcément sur scène, quand on l’interpelait, je me retournais (rires), quelqu’un de très sympa (Domenica Musumeci). Pour le piano, c’est donc Julien qui nous a apporté ce liant, c’était d’ailleurs sa première expérience de ce type pour lui, lui qui vient de la pop, ce n’est pas un musicien classique. Faut savoir que les musiciens classiques, raisonnent complètement différemment, c’est dingue même, ils suivent le chef. L’idée de métronomie est complètement absente. Par exemple pour Le Commerce de l’eau, et son « Poum-Poum-Tchac », et bien pour l’obtenir, c’est compliqué, il faut du montage numérique, parce que ce n’est pas du tout les mêmes jeux, la mesure est fluctuante, du fait du chef d’orchestre. Julien en a bavé, il représentait le liant en déroulant parfois ses arpèges, elles étaient sensées donner en quelque sorte la mesure, mais non c’est en fait le chef d’orchestre qui dirige, et pas le piano qui drive le truc, pas du tout. Ce sont des approches tellement différentes, que parfois pour que ça s’ajuste, il faut bidouiller, faire du montage comme c’est souvent le cas dans le classique. C’est Alexandre Tharaud qui m’a dit, « quand je fais un enregistrement de piano solo, je fais 2 jours de piano et derrière on fait 6 jours de montage ». Pour Pierre et le loup c’était pareil, lors de l’enregistrement, ils faisaient de la mesure 38 à 44, puis ils s’arrêtaient, ensuite ils faisaient de la 45 à la 47, et ensuite ils montaient, et au final t’entends rien. 

Donc y’a plus de montage avec l’orchestre ?
Ah oui y’en a énormément. Yann Arnaud y a passé deux fois plus de temps qu’il ne l’avait imaginé. Ça sonne organique, mais c’est vachement monté. En live, il peut y avoir de petites erreurs, mais tu entends tout, aucun instrument étant isolé, du coup faut reprendre de nouvelles versions. C’était un gros chantier. Et par rapport à tout cela, mon temps d’investissement était finalement assez court, moi j’étais l’interprète, j’arrivais un peu avec les gants blancs. J’entendais bien des choses, des fois j’avais du mal, par exemple sur Éléor, je n’aimais pas la version, et puis finalement je m’y suis fait et j’aime bien la version là. J’ai été assez peu directif sur ce disque. J’ai donné parfois des idées comme celle sur le Twenty-Two bar de diviser la chanson en parties comme autant de couplet, et la rendre plus narrative. Après David a fait sa sauce, avec ce final un peu barnum, à la Elephant Man. 

Oui ça renvoie un peu au cinéma.
Oui oui, on m’a parlé de Miyasaki (rires). C’est aussi la culture de David, il aime beaucoup les BO de films. Je lui ai laissé carte blanche, je n’avais pas envie de lui mettre des bâtons dans les roues, je savais que c’était assez compliqué pour lui. Si je lui mettais des contraintes trop fortes il aurait pu se bloquer. Alors que là on pouvait discuter sans arrêt. Si tu passes par un orchestrateur classique, tu pourras dire certains trucs mais pas vraiment revenir sur le fond, il ne va pas recommencer 15 fois. Avec David, on se connait, je peux lui parler cash, du genre « ah non ça j’aime pas du tout ». Certaines fois je me faisais convaincre, je revenais sur certains trucs, et du coup je n’ai pas de regret, pas l’impression de me dire « ah oui là j’aurais dû être plus vigilent ». C’est une interprétation. Ce n’est pas l’interprétation définitive d’un morceau. C’est plus un contexte, avec un symphonique, un arrangeur comme David Euverte, qu’est-ce que donne ? Et bien cela donne ça. Ce n’est pas moi qui ai donné l’ambiance générale. 

As-tu l’impression de donner une seconde chance à certains morceaux sur ces deux disques ?
Des fois oui. Ou tout simplement l’idée de le remettre dans la mémoire des gens. C’est le cas pour Valparaiso par exemple. J’ai toujours aimé ce morceau, je ne savais pas trop comment faire, et je suis très content qu’il y soit. Ou Tout sera comme avant, pour moi c’est la bonne version, on y est. J’adorais la version de la dernière tournée, la voix porte le morceau et je trouve que l’on a réussi à ne pas s’en éloigner. Là c’est la bonne version, et pas celle du disque Tout sera comme avant ou même de la version live des Forces motrices, qui était pas mal. Pareil pour Rendez-nous la lumière, au départ, moi je ne l’avais même pas intégrée, et puis cette arpège est arrivée, je me suis dit « tiens ça pourrait être marrant », on pourrait lui enlever son côté « chanson de stade », et la rendre limite tristounette, genre la musique qui dément le propos. 

Vers les lueurs

D’ailleurs on a fait les comptes, et c’est Vers les lueurs qui est le plus représenté sur les deux disques.
Ben oui, et ce n’est pas un hasard si ça s’appelle Quelques Lumières. C’est un peu l’album référent par rapport au projet. Je ne sais pas trop pourquoi, je ne le mets pas au-dessus des autres. Éléor ne doit pas être loin non plus. Remué n’y est pas, désolé (rires). 

Y’a une raison ?
En fait je ne me vois plus chanter ça. Le seul morceau que je me vois bizarrement encore chanter, et c’est pourtant le plus agressif, c’est Comment Certains Vivent. Je l’aime beaucoup encore. Pour moi c’est le plus réussi du disque en termes de réalisation. 

Y’avait Je suis une ville.
Oui c’est vrai, j’y ai pensé. David aime bien le morceau aussi. Mais à un moment donné, on a dû faire des choix, et le temps nous a manqué de toute façon.

Mais au final, les disques récents sont peut-être un peu plus représentés, mis à part Le Monde Réel. 
En concert y’a quand même trois titres de La Fossette avec le symphonique. Donc l’album est bien représenté. C’est l’idée de s’amuser avec le contraste entre les versions de cet album et l’orchestre, cette idée de décalage.
Je regrette qu’il n’y ait pas Sous la Neige sur le disque. Le concert s’ouvre là-dessus en fait. Mais bon je trouve que la version n’est pas suffisamment aboutie. La fragilité est bien représentée aussi. Comme c’est un disque acoustique, c’est assez facile de s’imaginer l’arranger. Et j’ai aussi privilégié des chansons narratives comme Le Ruban, pour permettre à la musique d’être illustrative. 

Memento

Memento s’inscrivait dans la même démarche. 
C’est différent car là ce sont les textes de Jean-François Mondot, c’est plus l’idée d’une rencontre. Et comme j’avais eu le pied immobilisé suite à ma chute à vélo, j’avais du temps, et donc je travaillais sur les morceaux de Memento. On s’est retrouvé dans le studio de Gérard de Haro, alloué gracieusement, lui qui avait fait plein de projets avec Sébastien Boisseau, Stephan Oliva. Mais au début, on ne savait pas trop où on allait, on partait avec rien, sinon les textes, pour aller en studio. Donc j’ai commencé à structurer la chose, à faire des chansons et les autres m’ont remercié (rires). On a tout fait en 4-5 jours. On n’avait jamais joué tous les 4 ensemble. Bon là on a fait quelques dates en tournée, notamment en Belgique, Nantes, les correspondances de Manosque, et du coup comme on n’a pas beaucoup de morceaux, on avait tendance à les étirer un peu, y’a plus de musique, je fais même des solos de guitare improvisés (rires), et j’ai réussi à ramener la pédale disto sur 20 secondes. D’ailleurs notre grand jeu, c’est de placer dans nos impros des citations d’un morceau de Johnny Halliday. L’autre jour j’ai placé un passage de Hamlet, donc son pire disque, du morceau To be or not to be… Bref mais du coup on étire la musique, et c’est un peu moins de la chanson, c’est intéressant. 

Tu avais des disques références particuliers pour Quelques lumières
Non pas vraiment. Et puis il faut dire que ces versions avec un orchestre, je m’en méfie comme de la peste. C’était une opportunité dingue, et je n’aurais jamais pu refuser un truc pareil mais je me méfiais. Comme tu n’as pas de prise sur ce genre de projets, c’est pour ça aussi que j’ai imaginé le second disque. Je suis très content du résultat mais ce n’est pas un disque que j’ai maitrisé du début à la fin. Comme il n’y a pas d’écriture, moi là je me pose en tant qu’interprète. J’ai le final cut, mais je ne peux pas décider de tout sur un tel projet.
Mais non je n’avais pas vraiment de référence. Pour le trio c’est différent, l’idée c’était de dénuder, enfin c’est le son que l’on produit tous les trois finalement, et c’est surtout le son du studio de la Buissonne, que l’on retrouve aussi sur Memento, y’a des correspondances. 

Tu avais un parti-pris, par exemple, pas d’électronique. 
Oui, surtout en raison du temps qu’il nous manquait. Mais c’était l’idée, comme un concert en fait. C’est ce que l’on peut produire en direct devant des gens. Pas de bidouille qui rendrait le truc « inreproductible ».

On sent que c’est comme ça que tu veux te représenter.
Oui, en tous cas, sur la tournée prochaine c’est ça. Il y aura peut-être un peu plus de guitares, ça commence à me titiller d’ailleurs. Mais oui globalement ce sera ça, ce sera certainement plus dynamique, parce que là c’est quand même très atmosphérique, mais on sera sur ces ambiances-là sur la tournée.

Et donc là, on peut imaginer que tu reprendras d’autres titres.
Oh ben là ce sera open bar. On ne sera pas sur une setlist qui ne bougera pas. Après je dis toujours ça, mais bon à trois, on peut se permettre des choses. En solo, cela dit, c’était très écrit. Souvent j’ai envie de sortir du truc, mais des fois tu sens que ça prend, et c’est dommage de casser ça. Donc c’est toujours un peu délicat. Avoir deux périodes de tournée c’est pas mal, car tu peux faire évoluer le set. Une fois qu’un truc commence à s’installer et que ça marche bien, on a du mal à remettre en cause nos fondamentaux. Ça participe à l’ascension du concert, par paliers, et si tu casses ça c’est dommage. 

Ce n’est pas comme les Pixies qui ne font pas de setlist sur scène. 
C’est vrai, mais ça, pour une personne comme Didier Martin avec qui je vais bosser à nouveau pour les lumières, c’est l’enfer pour lui. Il construit un truc, il peut s’adapter, mais ce qu’il écrit n’a plus de sens. Et les lumières c’est très important. Pour la prochaine tournée, on va jouer l’épure, et comme on ne sera pas en Tour Bus, le bonheur, on sera limité au niveau du matériel. Y’aura des pianos qui seront loués sur place, la contrebasse de Sébastien, on vient de décider d’amener un Rhodes, y’aura des guitares, et c’est tout. Et comme y’a aussi une histoire de poids total, c’est l’angoisse du tourneur d’ailleurs. Par exemple y’a des camions 9 places avec 9 personnes dedans plus 1 bagage, t’es déjà en surpoids, donc t’as droit à une amende de plusieurs milliers d’euros et ton matériel est réquisitionné.  

Sur le second disque, y’a trois inédits, ils sont apparus comment ? 
C’est une commande de la part de Cinq 7. Après je trouve aussi que c’est bien qu’il y en ait, ça casse l’idée d’un mausolée, et laisse sous-entendre que l’histoire n’est pas finie. Il aurait pu y en avoir quatre même, mais il a été écarté, il était assez faible en fait. On l’a même enregistré, mais lui il ne figurera nulle part, et bien évidemment c’est celui qui m’a donné le plus de travail (rires). Comme je n’étais pas dans un processus d’écriture, j’ai eu du mal à les écrire. Par exemple, L'Humanité dont j’aime bien le résultat, j’avais le texte mais j’ai ramé pour la musique. J’ai mis des mois à le structurer alors que maintenant il parait assez fluide.
Pour Chemises à Fleurs, j’étais parti pour une chanson un peu légère, mais finalement c’est aussi triste que le reste (rires). J’imaginais une chanson à la Bourvil, mais au final c’est un peu de l’autoflagellation, la musique illustre le propos, alors que je pensais que ça allait contrebalancer.
Les Animaux, c’est arrivé sur le tard, c’est celui qui est le plus arrangé, et au niveau de l’enregistrement, pour moi c’est celui qui fonctionne le moins bien car on est sur autre chose. Y’a 3 guitares, 2 contrebasses, du clavier, il est un peu à part, mais c’est un titre qui pourra être chouette à faire sur scène par contre.
Mais au départ c’était stratégique. Le projet était cher, Cinq 7 pensait qu’il serait dur à vendre sans inédit. Par exemple France Inter ne fait jamais d’accompagnement sur des disques rétrospectifs, jamais, et là ils l’ont fait, parce qu’ils m’aimaient bien, vraiment bien. Avec les inédits, ça a aidé, ils ont considéré que L’Humanité pouvait passer à la radio. Alors quand j’ai appris ça, j’étais sidéré. Et quand je fais des émissions, ils passent le morceau, et finalement ça passe bien, « dans le poste ». J’étais vraiment sceptique au départ, mais ça va, et tant mieux si ça permet au disque d’être défendu comme ça mais je n’y croyais pas. 

Dominique A - Bouffes du Nord 2025

Même si ce n’était pas le projet, pas de regret du coup de ne pas avoir mis d’autres inédits ?
Non, j’ai tout mis, je n’avais plus rien. Mais j’aurais bien aimé pousser jusqu’à 30 morceaux. Là j’ai commencé à réécrire depuis cet été. L’écriture c’est une dynamique, quelque chose d’assez naturel sur quelques mois. Quand tu n’es pas là-dedans (la dynamique est la même pour écrire un bouquin), c’est dur de se dire « tiens je vais écrire un morceau ». Pour moi surtout, si c’est pour quelqu’un d’autre, je peux arriver à me diviser. Et depuis cet été, je m’y suis un peu remis. D’ailleurs, pour différentes raisons l’année a été compliquée, et je n’étais pas dans une dynamique d’écriture, j’étais parasité par des tas de trucs, heureusement y’avait la musique. Durant une semaine j’étais seul, vraiment tout seul, et j’ai recommencé à faire des chansons. C’est bête, mais pour faire ce métier, il faut quand même avoir l’esprit libre et du temps. Et là actuellement, du temps je n’en ai pas. J’en ai juste assez pour faire ce que j’ai à faire, mais pas par ailleurs. Je ne m’étais pas rendu compte de cette évidence à ce point-là. Avant, je pouvais écrire un peu n’importe quand, avec mon enfant à côté, j’arrivais à avancer, mais je ne peux plus fonctionner comme ça, là j’ai besoin de m’isoler. Cet hiver je savais que je devais écrire ces inédits mais je ne pouvais rien faire, mon esprit était plein de sales trucs. L’écriture, comme beaucoup de gens, faut avoir l’esprit libre, vraiment, sans être parasité par les choses de la vie qui sont pénibles. C’est le lot commun, mais si t’as ça, tu ne peux pas écrire. Faut être heureux pour écrire. 

La tournée 2025 en trio va débuter en mars, les dates ont été annoncées
Oui le gros a été annoncé, mais y’aura aussi des dates en septembre / octobre. Et c’est chouette car pour le moment y’a déjà des salles qui sont pleines 6 mois avant, ce qui ne m’arrive jamais. Et même si ce sont souvent de petites salles et qu’il y a un public d’abonnés, c’est un bon signe. Y’aura aussi les Bouffes du Nord le 13 mai. Au début, je me disais, bon une seule date aux Bouffes du Nord, c’est une super salle, je ne l’ai pas faite depuis longtemps, parfaite pour ce genre de projet, mais ça a un coût. Et aujourd’hui l’économie de la musique, elle est fragile et complexe. Et y’a des menaces, par exemple si le RN arrive au pouvoir, la privatisation des médias, l’exception française est vraiment menacée. Y’a des voies de plus en plus insistantes qui vont dans ce sens-là. En France, la politique culturelle mise en place est hyper qualitative et on est en train de la sacrifier. Quand tu vois nos voisins, l’Allemagne, l’Angleterre, pfff mais ça n’a rien à voir, et on est en train de sacrifier ça. Je ne suis pas du tout optimiste, du tout, c’est une catastrophe. Alors aujourd’hui, sortir un triple vinyle, c’est un bel objet, c’est super, mais jusqu’à quand ça va durer ? 
Donc là, oui la tournée, j’ai vraiment envie de rester dans l’esprit du disque. Il m’est arrivé parfois de faire des tournées qui n’étaient pas raccord avec le disque, par exemple Tout sera comme avant. De toute façon comment aborder un tel disque sur scène ? C’était impossible, on était d’ailleurs parti sur des trucs très dissonants, limite tournée Remué. Mais là je n’ai pas envie de cette démarche-là, ça ne se justifie pas. Là on a un son. 

Et ces questions n’existent pas avec le disque avec l’orchestre ?
Non. Déjà parce que je ne suis pas sûr que l’on reprenne tout. On verra. Par exemple, et même si j’aime beaucoup la version, je ne suis pas sûr que l’on jouera le Twenty-Two bar. A voir si on arrive à une version intéressante. Si on n’a pas, et bien on ne le fera pas. Il y a 3-4 passages obligés, Au Revoir mon Amour, Immortels, Le Courage Des Oiseaux, ceux-là, faut qu’on les fasse. C’est le deal avec les gens. Le reste ? On fait ce qu’on veut !  Ce n’est pas un deal douloureux, ce n’est pas 12 titres à faire, moi c’est juste 3 titres, donc bon, ça va, tout va bien.

Interview réalisée à Paris le 19 octobre 2024

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