Avril 2010

Avril 2010

 

Plutôt la branchouille que la franchouille

C’est un commentaire récurrent, que j’entends à la sortie des concerts : « C’est dommage, quand même, qu’il n’y ait pas eu plus de monde », et son corollaire en presse écrite du lendemain : « Ce n’était pas la foule des grands soirs au Théâtre Bizancourt… ». Bon, je dois singulièrement manquer d’ambition, parce que, pour moi, c’est une belle tournée, celle qui se termine là : à quelques dates près, on n’a pas fait de four, ça tourne autour de 400  / 500 personnes par soir, alors qu’on joue dans pas mal de petites villes, et à ce que j’entends dire autour de moi, on n’est pas nombreux actuellement en France à pouvoir en dire autant. Comme quoi le culte de la performance chiffrée, du « toujours plus », continue à faire son chemin. L’émotion sera collective, ou ne sera pas.

Bridget Saint John Ce n’était pourtant pas ce que me disait le disque de Bridget Saint John , que j’écoutais hier soir, replongée en eaux folk, « Thank youfor… », 38 ans d’âge et toujours aussi retournant. Quelle voix, mes amis, quelle voix.

 

 

 

HannahOn continue à me donner moult disques à la sortie des concerts : parmi ceux que j’ai écoutés (et, entendons nous bien, je n’ai pas tout écouté, pas encore), les niçois de Hannah m’ont pas mal tapé dans l’oreille, avec un 4 titres bien foutu, bien produit, « Ben’s boy hero », bonnes chansons folk rock noise, en anglishe, comme eût dit Jean Ferrat (dont la mort, soit dit en passant m’a foutu un petit coup de bambou, comme un morceau d’enfance qui se détache, tellement écouté ça gamin).

Les marquisesPlus touffu : Les Marquises , « Lost lost lost », comme un Labradford (vous vous souvenez ?) moins sobre : post rock pas mort. Ecoutez notamment « Only ghosts », et sa rythmique de carnaval, épatante.

Je vous avais cité le nom curieux d’Ootiskulf au nombre des démos notables qu’on m’avait remis, et après réécoute, je confirme : ça mérite plus qu’une oreille qui traîne. Je ne lui avais pas adjoint celui de John Trap , impliqué dans l’histoire, et auteur de plusieurs albums autoproduits, notamment « 1977 », assez auberge espagnole, mais régulièrement inventif, une faculté à créer des ambiances, et des idées de production bienvenues

C’est d’ailleurs sur ce plan là, la production, qu’on peut attester du chemin parcouru en France depuis une dizaine d’années: les groupes d’ici ont appris à sonner (qu’on compare avec les enregistrements des frenchies dans les 80’s…), et le fait de s’en remettre au home studio n’y est sans doute pas étranger. Maintenant, si je dois faire une réserve globale, c’est sur le recours banalisé à l’anglais yaourtisé, comme une perpétuelle solution de facilité, avec l’accent de rigueur trahissant la provenance locale, et qui enlève quoiqu’on en dise de la crédibilité à la musique, et crée une distance, ramène tout au niveau du fantasme : comme si on entendait alors plus ce que les gens veulent faire que ce qu’ils font vraiment, plus ce qu’ils écoutent que ce qu’ils font. Ça ne concerne pas particulièrement les groupes précités, c’est plus une impression générale, qui peut tranquillement tourner au débat d’arrière garde, je ne le nie pas ; il n’en demeure pas moins qu’à recourir à l’anglais systématiquement, on se met dans une position de déférence par rapport au modèle dominant. Et le fait est que ça continue, à un Phoenix près et quelques autres, à bien faire marrer les anglo-saxons.

Binary Audio Misfits Le mieux étant alors peut être de faire directement appel à leurs services. Michel Cloup, ex Diabologum, et Expérience en chef, s’est ainsi acoquiné avec des rappers texans, pour le projet BAM ! (Binary Audio Misfits), chez le label Platinum, et on sent clairement que ça lui a redonné un coup de sang neuf. Le mariage de riffs noise et de rythmiques hip hop fonctionne parfaitement, les gars ont de bonnes voix, et certains morceaux ont le caractère d’hymnes potentiels. Vive l’échange de fichiers entre Toulouse et Austin.

 

c++ Le label « Depuis la chambre  » m’a aimablement passé trois de ses productions : les esprits conjugués de feu Lithium et Rosebud y rôdent, il y a du Bertrand Betsch notamment dans l’album inspiré de Laurent Barbin. Mais c’est surtout celui de C Plus Plus (oui, je sais, bizarre) qui a retenu mon attention : un disque pop assez joueur d’une jeune demoiselle à la voix légèrement nasale et bien placée (parfois, j’ai pensé à celle de Rachel Ortega de feu Luna Parker, ce qui, j’en conviens, ne nous rajeunit pas), bien accompagnée musicalement. Mélodiquement, on n’est pas très éloigné du Katerine de « L’éducation anglaise », et ça fait plutôt du bien, un disque un peu léger qui ne racole pas non plus, qui reste sur une certaine réserve. Et vous savez que j’aime ça, moi, la réserve.

 

Del cieloAu registre des voix femme enfant, pour le dire vite, mais en plus glaçant, ce qui en fait le sel, celle de Liz Bastard, au sein de Del Cielo, est assez remarquable, dans tous les sens du terme ;  en tout cas, elle divise, et quoi de mieux ? J’ai pour ma part choisi mon camp. Del Cielo est un duo que la demoiselle a formé avec Gaël Desbois, compère d’Olivier Mellano au sein de Mobiil, et on retrouve d’ailleurs avec joie le groove glaçon et les séquences électro banquise de Mobiil dans ce projet. Certains morceaux sont vraiment très prenants, d’autant que Liz Bastard a le sens de la formule (« Faut pas lâcher ça »). C’est sorti il y a quelques mois, et une séance de rattrapage s’impose. Del Cielo : « Sous les cendres » (Idwet).

 

La fossette J’en reviens brièvement aux autoprod’ avec un truc assez inédit : j’ai reçu de la part d’un certain Bolik un enregistrement reprenant « La fossette » en intégralité, dans l’ordre, chantée d’une voix qu’on pourrait rapprocher de celle d’un Miossec atone, et principalement revisitée à l’aide d’une clarinette (!) ni claire ni nette : art brut total, éprouvant par moments, et assez épatant à d’autres. En tout cas curieusement éloigné de son disque autoproduit assez intrigant, oscillant entre pop rock à l’anglaise très mélodique avec accent à couper au couteau et chanson française teintée de psychédélisme, aux textes pince sans rire.

 

Le grand quoiUn livre : « Le grand quoi » de Dave Eggers (Gallimard), autobiographie romancée d’un de ceux qu’on a appelé les enfants perdus du Soudan, séparés brutalement de leurs familles au cours de l’interminable guerre civile qui déchire le nord et le sud du pays depuis les années 80, bien avant même que l’occidental lambda ne connaisse le nom du Darfour. Racontée sur le mode picaresque, avec parfois même une distance amusée et incrédule, comme une épopée qui paraitrait volontiers abracadabrante si elle n’était la retranscription d’une réalité épouvantable, c’est une sorte d’ode à la survie, en même temps qu’un éclairage bienvenu sur une situation géopolitique au minimum complexe. C’est aussi un grand livre sur l’exil et le désenchantement, qui s’ouvre sur l’agression du héros dans son appartement aux Etats-Unis, où il s’est exilé, et où il est venu chercher à se reconstruire, et sur la violence, comme une malédiction collée sous les semelles, et l’impossible sentiment de sécurité pour qui a survécu à l’invivable. Très très fort.

 

Joanna Hellgren Autre livre, le deuxième épisode (je vous épargnerai le « tome » de rigueur, pour des livres qui se lisent en une heure) de la trilogie en cours « Frances » de Joanna Hellgren (chez l’excellent éditeur Cambourakis, qui édite à la fois des bandes dessinées et de très bons romans), un(e) des auteurs de BD les plus intéressantes aujourd’hui (pour rappel, je l’avais invitée avec Gabriella Giandelli et Anouk Ricard à ma carte blanche à la Ferme du Buisson en septembre dernier). Graphiquement, c’est toujours aussi splendide, un trait à la fois anguleux et précis et pourtant étonnamment sensuel et fluide, et le récit, une histoire familiale complexe faite de flashbacks et de ramifications imprévisibles, passionnant, et jamais gnian gnian, comme souvent dans la BD d’auteur ; non, au contraire, ça dépote, et le contraste entre le côté rentre dedans des dialogues et des situations et la beauté apaisée du trait fonctionne à plein.

 

 

Platine.Finissons sur une note défoulatoire. Je lis régulièrement avec délectation le magazine Platine , voué à la variété francophone. L’occasion de prendre des nouvelles de Sylvie Vartan ou de Roch Voisine, et pourquoi pas, la plupart des chanteurs de variété ont des parcours souvent assez passionnants. Enfin bref, je feuilletais l’autre jour le Platine daté de mars quand je tombe sur un article consacré au Prix Constantin (quatre mois après la bataille, quand même), avec un commentaire assez acerbe sur ma personne : en gros, il y est dit que je chante faux, que je n’avais rien à faire là vu le nombre de prix que j’ai reçus jusqu’ici, et que je ne suis qu’un chanteur pour la « branchouille » (c’est le terme employé). Bon, pour ce qui est de chanter faux, ça a le mérite de me rapprocher de quelques bons clients de Platine, comme Renaud et Nicolas Sirkis. Concernant la pléthore de prix que le rédacteur m’attribue, hormis celui de Charles Cros, j’ai du louper quelques épisodes, et je remercie d’avance mon laudateur apparemment mieux informé que moi de m’en transmettre la liste pour que j’accoure, s’il n’est pas trop tard comme je le crains, les récupérer. Enfin, pour ce qui est de la « branchouille », je crois pouvoir affirmer sans craindre de trop m’avancer que je n’ai pas eu spécialement l’occasion de la croiser dans les nombreuses petites villes où nous sommes passés récemment. Mais je ne lui en veux pas : elle devait être occupée à dénicher de nouvelles têtes sur lesquelles s’enflammer. Car c’est le mérite de la dite branchouille que de fureter un peu afin de laisser entrevoir un monde musical autre que celui incarné par des blagues vivantes telles que Grégoire ou Christophe Maë, qui font les beaux jours des couvertures de Platine : autrement dit, plutôt la branchouille que la franchouille.

 

Je sais, je suis susceptible.

  Bon printemps à tous, on ne l’a pas volé, celui là.

  Dominique

Concerts

CCV NL

A propos des cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site web. Certains d’entre eux sont essentiels au fonctionnement du site et d’autres nous aident à améliorer ce site et l’expérience utilisateur (cookies traceurs). Vous pouvez décider vous-même si vous autorisez ou non ces cookies. Merci de noter que, si vous les rejetez, vous risquez de ne pas pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités du site.