Peut-on imaginer plus bel objet et plus troublante surprise auditive ? Un petit label anglais, Squirrel Thing, a exhumé des chansons de Molly Drake, la mère de Nick, qu'elle enregistrait pour elle-même et ses proches sur un appareil 2 pistes, posé à côté du piano familial, dans les années 50. Les notes de pochette, signées de sa fille, Gabrielle Drake, sont instructives, mais ne précisent toutefois pas comment ces trésors ont été tirés de l'oubli, et pourquoi maintenant. Peu importe, il suffit de savoir que ces chansons existent et qu'on peut désormais les écouter. Et qu'entend-on ? La musique d'un ange, pas moins. On imagine le fils baignant dans le bain amniotique de ces chansons pensives et tout s'éclaire, donnant à son oeuvre et à son histoire une densité supplémentaire, si besoin était. Chez les Drake, la déclaration d'intention "Glad to be sad" est indubitablement une affaire de famille. Il est édifiant d'entendre chez la mère le même beau voile vocal, qui confère une telle douceur aux notes, la même tenue, et la même richesse mélodique. Vous pouvez toujours chercher, mais je vous mets au défi de trouver cette année, et l'année prochaine même, des titres aussi gentiment remuants qu'"Happiness" et "I remember".
Must définitif, qui plus est inséré dans un emballage de toute beauté (un portrait de la belle Molly dans un cadre de carton gaufré). Pour vous le procurer, le plus simple est d'en faire la commande directement au label (www.squirrelthing.com).
Parce que, malgré tout, ce disque a l'élégance supplémentaire de ne pas vous décourager d'écouter ce qui se fait aujourd'hui, je voulais vous causer brièvement de deux autres albums qui valent amplement le détour, eux aussi produits par des femmes du côté d'Albion, où les miracles s'additionnent décidément en ces jours d'automne.
Le premier est celui de Nadine Shah, jeune artiste de Newcastle. C'est mon compère Brusson qui m'a aiguillé sur elle. On a parlé à son sujet de PJ Harvey et de Nick Cave. Mouais. On trempe certes dans les eaux d'un blues plus ou moins gothique, comme les précités, avec des morceaux aux structures simples et répétitives, très habilement produit par un certain Ben Hillier, par ailleurs co compositeur et musicien actif sur tous les titres. L'autorité dans la voix est un autre dénominateur commun (seul petit bémol à ce sujet, une tendance un peu systématique à étirer les dernières syllabes). Mais la demoiselle nous mène aussi ailleurs, quelques inflexions vocales arabisantes (elle est d'origine pakistanaise) donnant çà et là à ses morceaux un caractère original. S'ouvrant sur trois pièces sonores assez denses, guitares et basse saturées à l'avant plan, l'album se dénude peu à peu, le piano prenant peu à peu l'ascendant, avec notamment dans le dernier tiers une superbe valse, "Dreary town". Très bon disque, richement produit, et dont il est dur de se défaire une fois harponné.
Le deuxième s'intitule "Silvern", par Jess Bryant, une jeune femme encore. Je l'ai récemment acheté à Rough Trade lors de ma courte escapade londonnienne pour le festival Ooh La la (qui avait la bonne idée de se tenir à proximité de Brick Lane, et de Rough Trade donc, malheur à mon portefeuille), au pif, sur la foi des quelques notes de pochette systématiquement apposées par les disquaires (une bonne idée, ça). J'imaginais un truc un peu bucolique et planant, mais pas tout à fait, puisque les chansons, et la voix assez grave, splendides, sont appuyées par une rythmique très présente, percussive, avec marimbas et xylophones en embuscade. Qui évoquer ? Bizarrement, pas grand monde. On peut éventuellement trouver quelques accointances avec le duo Wildbirds and Peacedrums (allez y voir si vous ne connaissez pas, c'est du feu de dieu) pour l'instrumentation, et un petit air de famille avec My Brightest Diamond, en poussant un peu le bouchon, pour l'inspiration mélodique. Sans oublier Talk Talk dernière période, mais ils irriguent tellement la musique pop impressionniste depuis plus de 20 ans qu'on hésite à les citer.
Pour finir, quelques conseils de lecture. Une BD, tout d'abord: "Mélo Pop" de Lucie Durbiano (Gallimard / Collection Bayou). Une histoire anthropomorphique hilarante, mais pas que, mettant en scène un orchestre pop qui anime les soirées d'une croisière, à laquelle s'est joint un producteur irascible du nom de Phil Canichor (oui). Personnages tous bien campés, dialogues au cordeau, découpage fluide et maitrisé, une vraie réussite, après deux autres livres du même tonneau, "Orage et désespoir" et "Le rouge vous va si bien" (même éditeur), que j'ai relus dans la foulée. Ça ne se sait pas assez, alors enfonçons le clou : Lucie Durbiano est une dialoguiste hors pair, qui est gentiment en train de construire une œuvre, n'ayons pas peur des mots, originale et d'envergure.
Enfin, rompons avec le "girl power" qui préside à ces pages, avec un court roman de Mikaël Hirsch, "Avec les hommes", justement (éditions Intervalles). Une histoire de retrouvailles entre un écrivain et un vieil ami, dont le récit de vie douloureux, marqué par une quête identitaire un rien désespérée, débouchera finalement sur une réconciliation inattendue, le premier devenant en quelque sorte dépositaire de l'histoire du second. L'ironie un rien amère du début fait progressivement place à une forme d'apaisement inattendu, à mesure qu'une histoire d'amour très émouvante se dessine. C'est un roman surprenant, qui vous mène là où vous ne l'attendiez pas, d'un kibboutz aux trottoirs détrempés de Brest, et porté par une langue riche.
Ce sera tout pour aujourd'hui, je m'en retourne à mes lectures, un beau mois et demi de pérégrinations m'attend, la Seine-et Marne d'enfance en bandoulière. Portez vous bien.
Dominique.