En ce mois de février 2022, l'album de La Fossette fête ses 30 ans, une occasion pour nous de revenir sur cette époque. Alors qu'il joue de la batterie dans le groupe Lucievacarme en 1991, Valéry Lorenzo fait des photos de Dominique A. L'album de la Fossette est alors en préparation. Quelques mois plus tard, une de ses images se retrouve sur la pochette du disque. La belle histoire est en marche. Depuis lors, Valéry Lorenzo n'a jamais délaissé la musique, pratique toujours la photographie tout comme la peinture en exigence, alors que son occupation première est devenue le design pour un fabricant de lunettes.
Le premier album de Dominique A, La Fossette, sort le 5 février 1992. Tu te souviens de cette époque ?
Valéry Lorenzo : 1992, c’est un drôle de pays. On est à Nantes, c’est loin pour moi, il s’est passé pas mal de choses depuis. 30 ans ça commence à faire. En même temps, c’est comme si c’était hier aussi. A l’époque j’étais dans le groupe Lucievacarme, notre musique était bien ancrée dans tout ce qui se faisait à la fin des années 80, début des années 90. On fonctionnait vraiment comme un groupe, de façon assez démocratique, où tout le monde intervenait sur de petites choses, changeait d’instrument. On avait une oreille neuve. Faut dire que l’on avait débuté tôt la musique, au collège, puis au lycée, on continuait juste notre histoire. Il se passait beaucoup de choses dans le contexte musical de l’époque. Du coup on était assez inventif, et rien n’était protocolaire. On écoutait des choses nouvelles, et on essayait d’en créer également de notre côté. Et pas uniquement dans le domaine de la musique, on s’intéressait à beaucoup de choses en réalité, la peinture, on visitait des expos, des lieux particuliers, on découvrait des films d’auteurs etc.
Pochette de La Fossette, 1992 © Valéry Lorenzo
Tu te souviens de l’accueil de l’album ?
C’est assez étonnant toutes les retombées de La Fossette, par forcément médiatiquement, mais en même temps ça se comprend. Particulièrement pour cet album-ci, plus que tout autre chez Dominique A. Il est tellement radical. Même si on sent quelques influences, c’est quand même un album très singulier, c’était clair à l’époque pour moi dès sa sortie.
Ce qui a changé c’est qu’en 2022, la musique est dématérialisée par rapport à 1992.
Et oui. Pour moi la Fossette n’est pas seulement un objet. Y’a pas mal de mystères autour de cet album. On m’a sollicité quelques fois pour avoir d’autres photos liées à la pochette. Mais pour moi non, la Fossette, c’est la Fossette. Et en dévoiler plus n’apporterait rien.
Peux-tu nous rappeler le contexte de la prise de vue de la pochette de la Fossette ?
La séance a été improvisée ou presque, elle a dû durer 15-20 minutes. On était à l’extérieur du Garage Hermétique à Nantes, en août 1991, il y avait encore de l’espace tout autour. Je discutais avec Vincent Chauvier de Lithium, il m’a proposé de faire des photos pour la sortie du disque, bien sûr j’étais partant. De toute façon, j’avais mon appareil avec moi, il était très probable que je fasse des portraits de Dominique dans tous les cas. J’aurais pu garder mon appareil photo dans mon sac, mais cela aurait bien été dommage. t puis Dominique m’a dit que le disque allait s’appeler la Fossette, donc on s’est focalisé dessus, de près.
J’ai des images à ce moment-là dans la tête, de Christian Boltanski, en noir et blanc, assez floues et granuleuses, notamment une série de portraits de disparus sur des boîtes. Le profil de Morrissey dans Viva Hate me revient également. J’avais adoré cet album. Et puis y’avait le travail du label 4AD qui me plaisait énormément. D’ailleurs on a tenté des sortes de montages avec des crustacées dans de la résine qui étaient au studio d’enregistrement, c’était totalement illisible, mais bon à 20 ans on tente des trucs ! J’ai toujours bien aimé travailler avec la matière, je n’aime pas trop la dématérialisation, et c’est pour ça que je fais toujours de l’argentique, et que le numérique ne me satisfait pas. D’ailleurs tout est un peu cyclique et on revient pas mal à l’argentique. J’ai toujours fait beaucoup de tirages, au lycée, à la fac, en école de photographie et cette approche qui se rapprochait du bricolage est vraiment à mettre en parallèle avec celle de la musique que j’ai pratiquée, comme le dessin ou la peinture.
La mise au point est décalée, sur un fond gris, neutre. Attraper la fossette n’a pas été si facile. J’avait une certaine exigence de lumière pour qu’on puisse apercevoir cette ombre sur le visage. Bizarrement le flou a permis de mieux voir. L’histoire est tellement peu protocolaire, contractuelle. J’ai envoyé des tirages 10x15 cm à Vincent, qui ne m’a pas fait de retour. Quelques mois après, il me semble que c’était lors d’une première partie des Boo Radleys à Rennes ou à Nantes, dans la chambre d’hôtel, Vincent nous tend deux disques, le maxi de Lucievacarme Metalvox et La Fossette. Et donc voilà c’était fait. J’ai trouvé la pochette « pas dégueu », voire parfaite, très respectueuse du travail de Dominique mais aussi du mien. Et j’aime toujours cette pochette. Elle est très sobre, et avec très très peu elle ouvre vers un imaginaire très important. Donc oui j’étais évidemment ravi de faire partie de l’histoire et que l’on se retrouve dans le même bateau. Je n’ai jamais trop eu l’occasion de reparler de ça, avec Dominique, mais j’espère qu’il était content lui aussi. L’album a toujours une histoire, qui se poursuit, c’est bien l’essentiel.
Lucievacarme et Dominique A sortent leur disque chez Lithium. Vincent Chauvier, créateur du label nantais est le point commun entre vous ?
A l’époque, il est évident que Vincent Chauvier fédérait notre histoire, c’était le mentor, et n’hésitait pas à créer des tensions, ça faisait avancer les choses, il nous empêchait de nous endormir sur nos lauriers et nous forçait à être curieux et être très critique envers nous-mêmes. Il m’a communiqué une exigence personnelle.
J’ai découvert Dominique par l’intermédiaire du Disque Sourd grâce à Michel Cloup avec qui je l’écoutais. Mon exemplaire a d’ailleurs disparu lors d’une séparation, mais qu’importe, je suis heureux qu’il soit entre de bonnes mains. Mais je sais que le disque est recherché, preuve qu’il est devenu quelque chose de pointu. Y’avait aussi ce fameux morceau L’Histoire Chuchotée de l’Art, il m’avait scotché.
A l’époque il y avait pas mal d’émulations entre nous. On bossait chacun de son côté, mais on discutait beaucoup entre nous. Je me souviens d’avoir parlé de David Lynch avec Dominique, comme lui j’étais fan. Lui avait appelé son premier groupe John Merrick, donc c’était pas par hasard. Il y avait une atmosphère assez ouverte vers le mystérieux, le bizarre.
Dominique A en mars 1992, à Rennes, backstage à l'Ubu © Valéry Lorenzo
Ton rapport à la musique continue après cette époque ?
L’histoire de LucieVacarme continue un peu suite au départ de Michel Cloup mais je n’avais pas l’ambition de faire de la musique de façon professionnelle, enchaîner les concerts, etc. La place de batteur (voire de bassiste) me convenait bien, un peu en retrait, et je préférais être sur d’autres terrains, où l’on ne me voit pas vraiment, comme la peinture ou la photographie ou même comme aujourd’hui en tant que designer de lunettes. Me cacher derrière cet objet me va finalement bien.
J’ai toujours fait de la musique de mon côté, ou dans des groupes, ou même pour moi lorsque j’ai des choses à raconter, à sortir de moi, peut-être pour mieux les oublier. Et comme dirait Murat, « je fais des chansons comme on purgerait des vipères ». En fait, tout s’est construit ainsi chez moi : la musique, la photographie, la peinture tout est fait de la même teneur, c’est mon histoire personnelle, comme des sortes de strates.
Je pratique toujours la musique. Ca me prend comme ça, avec un côté parfois obsessionnel. Je ne recherche pas forcément la perfection.
Peux-tu appliquer la même approche à ta profession de designer de lunettes ?
Oui c’est exactement la même chose. Je travaille sur la ligne, les montures, les visages, les courbes, les expressions. On est très proche de la photographie. En modelant les matières que ce soit le titane, l’acétate, parfois l’évidence arrive, qui correspond aux attentes que l’on pouvait avoir. Il peut aussi y avoir l’accident qui provoque un truc, mais dans chaque domaine c’est pareil.
Tu as recroisé Dominique A par la suite ?
Oui je me souviens d’images de Dominique en 96, quand il est revenu à Toulouse pour un concert, à la salle Nougaro. J’ai pris des photos, une planche contact de 12 images en partant de ses initiales, D pour Dépression et A pour Anticyclone, avec des initiales bricolées en carton suspendues en l’air, et des jeux de lumière en arrière-plan. J’en avais fait un calendrier, bon mais là c’était assez « conceptuel ». Ces images ont été reprises pour le livret du Long Box 3 CDs en 2002. Et puis je le croise de temps en temps lors de ses tournées.
Série calendrier Dépression / Anticyclone paru sur Le Détour en 2002. Photos © Valéry Lorenzo, 1996, Salle Nougaro, Toulouse
Tu as collaboré avec d’autres artistes, comme Sylvain Chauveau.
Oui on se connaissait déjà à cette époque, il était journaliste. On a fait quelques expositions ensemble. Il aimait beaucoup mes photographies et il en a utilisé certaines pour ses albums, avec notamment ce cheval blanc, un cheval blanc pour Chauveau… C’était pour le Livre noir du capitalisme, un très bel album, et qui a été bien accueilli.
Il y avait eu The Divine Comedy aussi. Lors d’un passage au Bikini (29 novembre 1993, avec Sidi Boo Said et Moose), je faisais des photos de ses musiciens, et j’ai fait un portrait de lui sur un fond blanc, très classique. C’est quelqu’un de très charmant. Je me suis amusé ensuite à faire des virages chimiques sur les tirages, des choses assez jolies, dont j’étais très fier. Du coup, j’ai envoyé ces photos à son label Sentanta, qui, emballé m’a répondu, « c’est bon on prend ! ». Mais ils en ont fait une pochette assez mal imprimée en noir et blanc, c’était un peu décevant, mais bon… Le EP est assez rare à trouver je crois (Indulgence n°2).
Plus récemment, une image de toi a aussi été utilisée pour des rééditions de Diabologum « La jeunesse est un art ».
Oui alors là, j’ai découvert ça par hasard. Je vois le disque sortir, je ne l’avais pas reçu, et je n’avais pas été sollicité. Ça s’est arrangé rapidement, Michel Cloup a vite réagit, il me pensait au courant, et j’ai finalement reçu le disque en question.
Tu aurais aimé travailler sur une autre pochette de Dominique A ?
Modestement j’aurais peut-être pu en faire des mieux (rires). En général j’ai du mal avec les choses trop prosaïques, qui montrent l’artiste tel quel. J’ai vraiment beaucoup aimé celle de Remué d’Olivier Dangla, tout comme l’album lui-même, tout est superbe. Celle d’Auguri est bien, et je ne vais bien sûr pas critiquer Richard Dumas, mais celle de la La Musique de Maria Mochnacz est vraiment réussie. Ces couleurs indigo, le tableau en fond, je trouve ça chouette. Mais bon, si j’avais dû faire une autre pochette… (il réfléchit) ? Pourquoi pas le prochain (rires) !
Le magazine Langue Pendue consacre un nouveau tome aux années Lithium. On sent qu’elles ont marqué un certain public, peut-être pas très nombreux mais profondément. As-tu tendance à idolâtrer ces débuts ?
Non je n’idolâtre pas, mais c’est ma post-adolescence, et c’est un paysage dans lequel je retourne. Je reviens même dans certains lieux du passé, qui m’ont construit, et pour ne pas oublier de quoi je suis constitué. Avec Lucievacarme, on n’était pas tant de la ville, mais plutôt de la campagne quand on y repense. Même si on allait beaucoup en ville, notre vie familiale, nos répétitions se déroulaient plutôt à la campagne, dans la ferme des parents de Michel Cloup, chez David Amsellem, chez moi, on était entouré de champs de maïs, de forêts… Le soir de certaines répétitions, on dormait sur des bottes de paille, les yeux dans les étoiles, c’était beau oui et ça m’a marqué. Bon après on tapait comme des malades sur les instruments. Nirvana et My Bloody Valentine nous avaient donné du crédit, alors on y allait quoi, on avait le droit !
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Valéry Lorenzo est également l'auteur d'un petit ouvrage réunissant des callotypes et des dessins aux Éditions de l'Œil, sorti en 2003, dont le texte a été écrit par Dominique A. Plus d'infos ici.