Or donc, nous y revoilà. Pas mal d'huile sous mon feu en 2012. Je fomentais tout ça, d'où ma discrétion sur CCV cette année.
Tout d'abord, ressortie début janvier de chacun des disques studios (pas de coffret), format digipack, avec cd de raretés et démos en sus à chaque fois, la plupart d'entre elles ayant déjà été rendues disponibles par le passé. J'entends déjà des voix s'élever sur les premiers acheteurs toujours lésés. Je n'ai pas d'argument massue à opposer à ça ; si ce n'est qu'aujourd'hui, permettre à un vieux disque d'exister dans les magasins, à un répertoire ancien d'exister et de toucher de nouvelles personnes, passe par une réactualisation de la chose. Vous l'avez sans doute remarqué, les rayons disques des magasins virent à la peau de chagrin ; dans le même temps, on produit tous azimuts, et je pense ne pas me tromper en disant plus les jours passent, plus le nombre de disques existant ou ayant existé augmente, alors qu'il s'en vend de moins en moins. Donc, pour se faire une place là dedans, il faut jouer des coudes dans les bacs. D'où remise en avant avec rééditions, bonus e tutti quanti. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut fêter 20 ans d'activité, ça m'aurait rendu chagrin de ne pas marquer le coup.
Ces rééditions m'ont permis de faire remasteriser (par les bons soins de Géraldine Capart, qui épaule en studio Dom Brusson depuis "L'horizon") mes 4 premiers opus, ce qui n'était pas du luxe, j'en rêvais depuis belle lurette (parenthèse technique, le mastering, terme barbare, désigne l'opération finale de la production d'un disque, consistant à assembler les morceaux entre eux, et à donner une puissance supplémentaire au son des mixes, ainsi qu'à homogénéiser l'ensemble). Aux oreilles d'un novice, ça ne sautera peut être pas aux oreilles, mais aux autres, si. "Remué" sonne notamment comme il aurait du toujours sonner, si je ne m'étais pas fait enfler par un ingénieur anglais très "lazy" sur le coup à l'époque, ainsi que "La mémoire neuve", qui perd ainsi ses grosses basses boueuses. Quant à "Harry", il devient presque écoutable (il fait partie de mon histoire, pas le coeur à l'écarter). "La fossette", elle, perd un peu de ses aigus saigne-oreilles (c'était les temps de la noisy pop, les bassistes n'étaient pas à la noce).
En ce qui concerne les concerts, dans un premier temps, jusqu'à l'été, pas de tournée à proprement parler (pour ça, rendez-vous à l'automne 2012), sinon des apparitions ponctuelles, dans des occasions bien spéciales (festivals, notamment, à partir d'avril). Ça fonctionnera comme un spectacle en deux temps, axés sur deux albums seulement : "La fossette", en trio, rejouée en intégralité tout juste deux décennies après sa sortie, et dans un deuxième temps, le futur opus, joué à dix (groupe électrique, mes trois compères de la tournée "La musique" plus un bassiste, et un quintet à vent). A l'heure d'aujourd'hui (27 novembre 2011, temps exécrable), je ne sais pas précisément à quoi tout ça va ressembler. Les répétitions qui commencent dans une semaine le diront. Mais j'ai bien sûr ma petite idée. Disons qu'en ce qui concerne la recréation de "La fossette", j'imagine une ambiance minimale, pour ne pas dévoyer l'esprit de l'album, mais avec une instrumentation différente de l'original, évidemment. Ce sera l'unique occasion d'entendre une dernière version scénique de mon chef d'oeuvre : "Mes lapins". Concernant les nouvelles chansons, elles reposeront beaucoup sur les arrangements de mon camarade David Euverte, qui m'accompagne aux claviers sur scène depuis sept ans déjà, pour le quintet à vent. Ce qu'il a concocté m'emplit de joie, c'est limpide et ambitieux à la fois. Ce sera enregistré début janvier, juste avant les concerts, et mixé en février, pour une sortie fin mars. Ça s'appellera "Vers les lueurs", parce qu'il y est beaucoup question de lumières et autres ampoules, et la pochette sera de Gabriella Giandelli, une dessinatrice italienne dont j'affectionne le travail (elle était de la partie à la carte blanche à La ferme du Buisson en septembre 2009).
Enfin, normalement, courant mai, puisque quoi qu'on en dise, la vie ne s'arrêtera alors pas à un vague choix de gouvernance, devrait sortir un petit bouquin en cours de finalisation, aux éditions Stock, collection La forêt.
Voilà les grands axes des mois à venir pour ma pomme.
Ceci étant dit, comme l'année se termine, je m'en voudrais de ne pas faire un petit retour en arrière sur ce qui m'a emballé cette année, discographiquement parlant, en vrac.
Peut être mon préféré: "It all starts with one", d'Ane Brun : huitième album de cette chanteuse norvégienne, dans des eaux mélodiques pas si éloignées de celles de My Brightest Diamond ; c'est un disque assez doux, avec un travail sonore très abouti (notamment sur le plan des rythmiques), et quelque chose de vibrant dans les mélodies, une chaleur. J'y suis revenu souvent depuis sa sortie cet automne.
"My Brightest Diamond" justement, son troisième disque, "All things will unwind", principalement acoustique, aux arrangements chatoyants : à nouveau une merveille, et une voix toujours aussi vibrante, là aussi. "Toutes les choses ne s'envoleront pas", c'est le cas de le dire.
Un p'tit disque minimal, marchant sur les plates bandes déjà trentenaires des Young Marble Giants: "Esp" de Love Inks, un trio dont je ne sais rien, si ce n'est que leur disque a l'air de pas grand chose, et s'incruste dans le disque dur interne à la seconde écoute. Un titre de prédilection: "Leather glove", plage 3.
Deux albums qui ne ressemblent à rien, tous deux légèrement malaisants à leur manière respective: " W" de Planningtorock, électro goth au chant réfrigéré (écoutez "Doorway", le premier titre, Laurie Anderson en embuscade), et "Forever Dolphin Love" de Connan Mockasin, de la pop flottante, comme au mix passé dans un effet chorus, et chanté d'une voix de gremlin. Epatant.
"Wolfroy goes to town", de Bonnie Prince Billy, qui se classicise de plus en plus. C'est son disque le plus apaisé, le plus feutré, et c'est très beau, ça donne envie d'avoir une cheminée, tiens.
Une compil, glanée lors d'un voyage écossais: "The Hidden Tapes", sorti sur Minimal Wave Records, et qui regroupe des titres de groupes techno pop inconnus, d'ici et d'ailleurs (Belgique, Japon, UK...): vaut principalement pour une perle, le dernier titre, "Rain in the south", des suédois Art Fact, un classique instantané.
Pas mal de français m'ont cajolé l'oreille encore cette année - et j'entends encore certains qui n'écoutent rien dire qu'il n'y a rien de bon qui sort ici...
"Notre silence" de mon ex compère de label Michel Cloup est en haut du panier: il retrouve une pertinence qu'il n'avait pas eu depuis le dernier Diabologum, tout sonne incroyablement juste dans ce disque : du Slint en français, avec des riffs de guitare imparables, et des textes infiniment touchants.
Ils se sont passé le mot, mes ex camarades de Lithium, puisque Jérôme Minière, de l'autre côté de l'Atlantique (il vit à Montréal) a lui aussi sorti cette année son meilleur opus depuis des lustres: "Le vrai le faux", une vraie réussite, avec une production plus mafflue que d'habitude, et qui lui va comme un gant. Le morceau titre est une tuerie, une de mes morceaux de l'année, facile.
Excellent, idem: "Nyx" de Mansfield. Tya. Clairement leur meilleur. J'étais resté un peu à la porte du précédent, que je trouvais un peu trop proche du premier, mais là, gros pas en avant. Variété des climats, très beau quand c'est sombre ("La notte"), ou quand c'est lumineux ("Des coups, des coeurs", "Cavaliers"). L'aventure Sexy Sushi a apparemment eu des effets libérateurs. Possiblement dans mon peloton de tête des 5 meilleurs de 2011.
On ne rit pas: le dernier Thiéfaine, "Suppléments de mensonge" fait partie des disques que j'ai le plus écouté cette année. J'ai du me passer six fois d'affilée - ça ne m'arrive jamais - sa très émouvante "Ruelle des morts" (composée par le duo La Casa) quand j'ai découvert l'album, là aussi, d'une justesse affolante, un morceau évident comme tout ACI rêve un jour d'en écrire. On sent qu'il est dans un de ces états de grâce rare dans une longue carrière, et la production d'Edith Fambuena et de Jean-Louis Piérot lui sied foutrement. En plus âpre et rocailleux, "Vigiles de l'aube" de Marcel Kanche est lui aussi au-dessus du lot, toujours aussi élégiaque et inspiré, un atmosphériste de premier plan auquel un peu plus d'attention ne nuirait pas.
En dépit de son titre, le "Baba love" d'Arthur H. vaut plus que le détour : on le sent lui aussi en état de grâce (mais qu'est ce qu'ils ont pris, tous ?!), et c'est un plaisir de l'entendre vocaliser en hauteur, d'autant qu'il le fait très bien. Mélodies addictives, et deux titres au-dessus du lot: "Basquiat", avec Saul Williams, qui pète vraiment le feu, et l'émouvant duo final avec Jean-Louis Trintignant, un beau poème à deux voix sur fond de claviers en suspension.
En vrac, parce que sinon on y est encore demain, beaucoup aimé également - mais j'aime tous ses disques, je ne suis pas objectif - les "Chansons ordinaires" de Miossec, le très gainsbourgien "La taille de mon âme" de Daniel Darc, avec sa valse éponyme magnifique et ses sorties au cordeau, le chamarré "E volo love" de François and The Atlas Mountains, l'habité "Rouge fer" de Joseph d'Anvers (vraiment très bon, il monte en puissance d'album en album), le folk rock inspiré du "Born from a shore" de Botibol, les montagnes russes du "Red sugar" de Winter Family, sans même parler des albums de Del Cielo (ce groupe est unique, sorte de Programme au féminin, en plus souple), et de La boîte à Ooti, auxquels je ne suis pas peu fier d'avoir été associé. J'en oublie sans doute, mais j'arrête là, pour ne pas verser dans le prosélytisme cocorico. Quand même : il faut être sourdingue ou s'appeler Murat pour prétendre que c'est morne plaine ici. Au rayon vieilleries, pas mal replongé dans la pop anglaise eighties / nineties, avec The Associates, à la classe folle, les mollusques d'Arab Strab, toujours pertinents, les premiers disques solo de Marc Almond (dont le notable "Torments and toreros", comme du Scott Walker en transit en Andalousie), et surtout, les deux derniers albums de The Jam, le premier groupe de Paul Weller, dont "The gift", merveille de pop soul blanche de 30 ans d'âge, qui vieillit très bien (en Angleterre, ils avaient The Jam, et nous dans le même temps, Téléphone).
Pour finir, une petite remarque sur l'état des choses en France : pour avoir tourné cette année avec Laetitia Velma (la nouvelle artiste préférée de la plupart d'entre vous, si j'en crois les commentaires énamourés glanés sur le forum), donc sur un projet émergent, autoproduit, soutenu par un tourneur émérite (Delalune, à Grenoble) mais sans soutien véritable de maison de disques, j'ai pu constater à quel point il était difficile aujourd'hui de commencer, bien plus que lorsque j'ai moi même débuté. Profusion des projets oblige, puisqu'aujourd'hui produire un disque est relativement facile, il y a, c'est mathématique, moins de place dans les médias et sur la scène. Ajouté à ça, le budget culture des gens se réduit, et on se dirige, à l'image du schéma social actuel, vers un système à deux vitesses, avec les gros poissons squattant l'océan, et pour les concerts desquels une partie du public est prête à se saigner aux quatre veines, générant des prix de places délirants, et presque tous les autres, qui restent à mariner dans une flaque. J'ai toujours pensé que le discours selon lequel la crise du disque générerait un regain d'intérêt du public pour les "vraies valeurs" du live était d'une crétinerie totale : d'une part, parce que je ne vois pas en quoi un concert serait plus "vrai" qu'un enregistrement, en quoi faire taper dans les quenottes et beugler "ÇA VA ?!" est plus authentique que de produire de la musique en studio, et d'autre part, parce que la tristesse du téléchargement s'accommode mal du volontarisme nécessaire pour se rendre à un concert, alors qu'il y a tant d'autre choses à faire, et en premier lieu, rien, surtout quand on n'a pas d'argent. Toujours est il que les petits et moyens lieux de concerts en pâtissent, et réfléchissent à deux fois avant de programmer des groupes ou artistes qui commencent, quand bien même le niveau des débutants s'est considérablement élevé depuis 20 ans. On en arrive à cette situation paradoxale d'une production toujours plus vivace, avec un niveau général de plus en plus élevé, pour un intérêt toujours plus faible de la part du public. C'est une constatation, pas un jugement. Toujours est-il que les artistes du milieu, comme on dit les "films du milieu" selon le précepte de Pascale Ferrand, comme Bibi, sont de plus en plus rares. Et que je mesure aujourd'hui plus qu'hier la chance qui m'est donnée de faire mon métier dans de bonnes conditions.
Sur ces bonnes paroles, rendez-vous, si le coeur vous en dit, en janvier. Et d'ici là, essayez de laisser les oies et les dindes tranquilles, et bonne fin d'année à toutes et à tous.
Dominique.