Ca traîne la patte pour partir et puis finalement, bien contents d'être là, Alban, Olivier (remplaçant sur le coup de Dom Brusson, sur d'autres chantiers) et moi par –10°C. Là : Varsovie, première étape d'une petite tournée polonaise, montée par Frédéric Pinard, un jeune type se démenant depuis 3 ans à l'Institut Français pour la musique et le cinéma, et qui a déjà supervisé les venues de Yann Tiersen (très connu là-bas), Françoiz Breut et Noir Désir, dans ce pays où peu viennent pour jouer, parce que pas grand chose à gagner (financièrement) et parce que réputation de tristesse chronique. Menés de bar en bar par notre hôte, nous découvrons Warszawa la nuit, verre de vodka vissé au poignet, inévitablement, en regardant un curieux groupe néo-prog local, avec un drôle de petit bonhomme quadragénaire revêtu d'une tunique grise argentée qui joue d'une sorte de Theremin (et ici). Il est deux heures, le piano du Mercure m'ouvre grand ses bras. Je pressens que tout ça va, déjà, se payer.
Et de fait, se paie, le lendemain, jour du premier concert, à Krakow (Cracovie), où nous arrivons en train, après quelques heures passées dans des compartiments désuets à regarder défiler plaines et forêts enneigées avec, en filigrane, le malaise que ce paysage distille. Contrairement à Varsovie, bien ravagé en 45 et reconstruite selon les normes d'architectures light de l'époque, Cracovia a été préservée, et présente un aspect féerique sous la neige, avec ses remparts et ses vieilles bâtisses. Le concert a lieu au Pod Jaszcuznami, un bar-club sur la place centrale (ce sera le cas tous les jours, des bars-club), avec de vieilles voûtes à la réverbe assassine, le son qui joue la fille de l'air. Une centaine de personnes sont là, sagement assises. Stressé ( comment des non-francophones qui ne m'ont jamais entendu vont-ils prendre ça ?), je chante comme un cochon, pardon pour la gente porcine, joue ad hoc, devant un auditoire studieux qui m'accorde, pas chien, un rappel. Pas de distribution ici, on a acheminé des pleins cartons d'Auguri. On en vend deux. Vite, un Kamikaze (six petits verres bleutés de vodka curaçao sur un plateau).
Retour à Varsovie, après avoir passé une partie de la nuit à observer le curieux manège du voisin dans l'hideux-mais-bel immeuble en face, dans un appartement à la lumière étrange, le passage des rares voitures dans la nuit cracovienne , les sacs plastiques volant autour de la station service en bas, le tout baigné dans ces ambiances du nord si caractéristiques, fantomatiques d'une inquiétante étrangeté. Ce soir, garçon, il va falloir assurer, au Jazzgot Café, beau club tamisé au pied de l'hénaurme Palais de la Culture légué par Staline au cœur de la ville, un bâtiment qu'on s'attendrait presque plus à trouver bizarrement, dans le Loop (quartier central) de Chicago (peut être un hasard, mais beaucoup de Polonais émigrés aux USA après la guerre vivent précisément à Chicago). Je me dope de vitamine C, de vodka Red Bull. Bonne ambiance, 250 personnes, deux tiers de polonais, autographes, en veux tu en voilà. 25 disques vendus.
Le lundi 10 : Lodz (prononcer "Outch"). Toujours à voyager en train avec Frédéric, qui s'occupe de tout, même de rire de nos vannes régressives, et des petits tours fréquents dans les charmants wagons-restaurants "Wars" aux rideaux rouges, où le serveur prépare la tambouille sur une gazinière. Du temps pour lire, parce que la plaine, c'est plat, la très prenante histoire vraie du Neal Cassady, grand copain et modèle de Kerouac pour le personnage central de "Sur la route", authentique cinglé fascinant raconté ici par celle qui n'aura pas su ne plus l'aimer, sa femme, Carolyn, une sainte, vu ce qu'elle a subi avec les zozos de la Beat Generation, Ginsberg et Buroughs inclus, elle qui ne rêvait rien tant que de fonder une belle et stable famille, dommage, pas le bon cheval, une sainte donc, qui s'ignore, comme toutes, profil superbe de dignité sur la couverture. Beau témoignage ou nul n'est valorisé mais où tous sont ô combien humanisés et souvent, aimés comme on peut rêver de l'être (Carolyn Cassady, "Sur ma route" 10/18). Pour l'heure refermons le livre, et dirigeons nous par les austères rues de Lodz, une de ces grosses villes industrielles de plus d'un million d'âmes, qui ne respirent pas le bien être et l'opulence ; ici et là, comme partout en Pologne, des petits vieux et vieilles sans retraite, vendent dehors des bricoles par –10°. D'après ce que nous rapporte Frédéric, c'est un collectif d'artistes qui ont réalisé les photos de nus un poil morbides, comme souvent les arts plastiques figuratifs par ici, qui émaillent le club de ce soir, qui ressemble par ailleurs à un café-concert bigouden lambda, un poil plus moderne. Je joue dans un coin de scène devant 50 pékins qui mangent et boivent et papotent en face de moi, je vois comme à Krakow deux filles se marrer comme j'attaque le premier morceau. Ça sent le grand soir. Outch. 1 disque vendu.
"Ça ira mieux demain" : le retour.
Gdansk, Dantzig pour les germanophone, ville hanséatique qui, à ce titre, a des accointances architecturales avec Amsterdam, Copenhague, ou encore les villes belges flamandes. Nous sommes tout en haut du pays au Nord de la Baltique, ça caille bien-moins. Avons avalé de la voie ferrée six heures durant, sous une belle lumière hivernale. Le club, le Zäk, est excentré, assez froid d'aspect (là encore, peintures murales morbides), mais j'aime bien. Le son laisse à désirer, mais j'aime bien. Souvent, les bons concerts, c'est comme ça, c'est bien parce qu'on a décidé que ça ne peut pas être comme la veille quand a veille c'était mauvais. C'est implacable, et implacablement ça fonctionne. Ce qu'on doit appeler l'énergie du désespoir, en forçant un peu. Le public 75 personnes à tout casser, sont comme hier, comme avant hier, assis sagement, ils sont surpris par Guignol, ils ont l'air de bien aimer, mais ne le montrent pas, mais Guignol a décidé de ne pas s'en faire, il est confiant, sa pédale disto verte, en carafe depuis 4 concerts remarche par l'opération du saint esprit, il retrouve son son gras tant chéri, les gens écoutent studieusement, et à la fin, ils font bruyamment savoir qu'ils ont aimé, et là Guignol revient faire une chanson, puis deux, deux qu'il n'a pas déjà jouées, parce qu'il en a dans sa besace, et ensuite, les gens viennent le complimenter, ça lui fait plaisir et pour marquer le coup il lève son verre. Huit disques partent vivre leur vie dans les intérieurs étudiants Gdanskois, et c'est trinqueries sur trinqueries, des "Nasdrowie" (santé polonaise) à n'en plus finir avec nos nouveaux amis, Frédéric, Delphine sa compagne, Macek (Matcheke), Wiecszof (Vietsoif), tous ces gens qu'il serait bon de revoir après mais mais sait-on jamais mais, et qu'elle est douce la neige sur la plage de Gdansk que nous foulons à trois du matin, histoire de prendre la température de la Baltique ; j'aurais voulu gdansker mais Gdansk ne gdanske pas le mercredi soir (après "Gdansk avec les loops" (Alban) "Dantzig Twist" (Philipe Pascal), vraiment ?).
Retour en France le 12, en semi loque, puis départ à St Genis Laval, Banlieue de Lyon, pour la der des der, le 13. L'organisatrice Celia, a mis les petits plats dans les grands; la salle est bien, le concert généreux dixit Brusson, même si, lui et Alban exceptés, personne ne me dit vraiment ce que les gens ont pensé, à croire que ... Liesse d'après concert, cela dit, cadeaux, embrassades, champagne.
Le lendemain, parfait pour une fin de tournée, je répète dans un local attenant aux alcooliques anonymes (il y a ainsi des petits signes qui ne trompent pas), derrière un crématorium, avec les Oslo Telescopic, pour l'unique concert à Paris. Les structures sont flottantes, ça promet d'être à l'arraché. Leur set à eux, assez funky, m'épate.
Repos le 15, dans l'ombre de moi-même (rassurez-vous, c'est bientôt fini, mais il faut bien dire ce qui est, sinon, pourquoi cette logorrhée ?).
Le 16, Black session, la 6ème depuis 93 ; journée calme, comme sur du coton. Toujours un plaisir d'aller dans la Grande Maison, réminiscence de fantasme de gosse, la radio, et d'écluser sagement aux ondes, la brasserie d'en face. Le soir, beaucoup de plaisir à jouer dans le petit studio 106, d'ordinaire réservé aux Berneries (A la réécoute, plus tard, surprise d'entendre les morceaux joués beaucoup trop vite, et par moments, le retour de la voix du sanglier, la voix de la fatigue, avec ces faussetés de fin de phrases, ces bêlements post John Merrick ; d'autant moins de regrets quant à un disque live dans le coffret ; sans la 3D, au secours).
Lenoir pote de Manset, me confie qu'après avoir voulu enregistrer son prochain disque avec Placebo (sic), Gérard s'est rabattu sur les electro-popers d'Ollano. Bon.
Le 17, veille de ma pré-retraite, m'Oslo gig, au Café de la Danse. En ouverture, Fabio Viscogliosi fait un beau set, avec son beau timbre de voix et ses chansons ritales, pendant que mes sinistres compères et moi bataillons dans les loges pour fixer ces putains de bandes sur nos pauvres tronches. Les Oslo démarrent, très bien, épatant pour des gens qui font si peu de scène. En cours de morceau western, deux gros bras me déposent sur scène ligoté sur une chaise. Début de Dirty Food bien foiré, j'envisage le pire. Vaille que vaille... J'essaie de ne pas trop penser à ce que peuvent bien se dire les gens (j'entends juste un type pousser des "non...non...non" dépités pendant que sa compagne le somme de la boucler).
Même lorsque je veux faire le malin, j'ai l'impression que ça vire gothique, à mon corps défendant (impression confortée dans un compte rendu dans le Monde le lendemain), alors est-ce que tout ça fonctionne quand même ? voui me dit-on après. Hit Hit Hit, Eucalyptus, et le plaisir de se péter la voix sur la version LOFO de Stockholm's syndrom. A l'arraché, tout ça, comme prévu, mais bien agréable à faire.
Bon. Y ahora ?
Ahora, j'ai pianoté sur mon Wurlitzer, bien content de m'y remettre, pas mal d'idées, dont un morceau qui n'augure pas de choses très funky, que voulez-vous ? Fini de lire "l'Empereur du Portugal", très belle fable de la suédoise Selma Lagerlof que m'avait recommandée Richard Morgièvre à Manosque. Ecouté les Hurleurs, "Blottie", le dernier, avec de très beaux morceaux très musicaux et des énerveries un peu moins convaincantes ; le dernier Godspeed You ! Black Emperor (si), histoire de pousser le bouchon, de voir si, et ah merde alors, me voilà parti à mordre, son impressionnant, même si hein ? les gars, que ça casse deux pattes à un canard je veux bien, mais la troisième je me la garde, intacte, il y a toujours la-dedans un petit côté attrape-couillon indé, un côté qui-se-la-joue (impossible d'oublier l'horrible concert de Lille en 99, avec ce son dégueulasse et ces poses inspirées sur brouet noise), un chantage à la musique avertie qui me rebute toujours gentiment, mais bon, malgré tout, ils m'ont eu, les salauds ; enfin Arvö Part, Alina, disque sobrissime, avec deux compositions extrêmement épurées pour piano et violon, déconcertant dans sa simplicité, frisant la facilité harmonique même, j'écoute ça depuis deux semaines très régulièrement, ça me rend généralement assez chose. Enfin, j'ai passé deux heures dans ma brasserie bruxelloise préférée "A la mort subite", avec Joey Burns, en pleine activité pré-sortie du prochain Calexico, c'est un chouette gars (physiquement l'archétype du pionnier) très généreux, ferons-nous jamais quelque chose ensemble comme dans l'air depuis trois-quatre ans ?
Voilà. Même pas trop le blues post tournée. Simplement étrange de n'avoir aucune date en perspective. Un rien de nostalgie m'effleure quand je pense à l'automne passé, toute cette énergie dépensée, et c'est aux à-côté des concerts que je pense toujours, parce que les concerts eux-mêmes, je ne m'en souviens jamais très bien, l'intensité du moment ne s'imprime pas, c'est du combustible instantané, rien ne reste que des souvenirs d'avant et d'après. Ça ne devrait pas tarder à me manquer, parce que maintenant c'est foutu, je suis déréglé, complètement instable géographiquement. Bon c'est assez.
Rendez-vous le mois prochain pour mon rapport mensuel d'inactivité. D'ici là, des baisers à tous en veux-tu n voilà et puis, allez, j'ose, auguri à tous.