Toulon le 20 Novembre 19h
Holyday in à Toulon. Pas tous les jours, ça. Arrivée en train avec une lumière dantesque sur la mer, et partout le long de la côte, ces horribles maisons rose pastel sale, je hais ces façades, cette couleur qui transpire l'ennui, l'absence de lumière à l'intérieur. Je suis accueilli à la gare par un sympathique blondinet frisottant qui déplore l'absence de grand soleil aujourd'hui, il ne faut pas, c'est beau les nuages aussi, on dirait qu'ici c'est un déshonneur quand Phébus n'écrase pas tout. Bon, je retrouve mes camarades dans le club dit Oméga attenant à l'horrible Zénith -pléonasme-, j'y avais joué il y a six ans, du temps des fascistes au grand jour - ne nous leurrons pas, ils ne sont pas bien loin-, je me souviens alors de l'impression d'entrer dans une bulle maléfique en arrivant dans la ville -depuis la bulle s'est élargie, on ne voit simplement plus qu'on est dedans. La salle est tristos, et l'installation électrique lamentable, festival de buzz sur scène, décidément c'est récurrent sur cette tournée, on aurait du l'appeler le Buzz Tour. Flashback, cinq jours plus tôt : je tiens dans ma main la tête de mon petit garçon qui ronfle sur le siège d'un train express bondé entre Lille et Calais ; Calais, où je me commets le soir même (15 novembre), au Passager, un magnifique petit endroit en gradins qui sent bon le bois (ça n'a l'air de rien mais mis à part la binouze éventée et la clope, les salles ne sentent rien de particulier en général - tiens, pas mal celle là...). Ambiance spéciale dans la ville avec les flics serrant les sans papiers, et les bus affrétés pour les renvoyer dieu sait où, sous des cieux où on ne voudrait pas vivre deux heures. Le soir, concert correct, régulièrement menacé par un fou-rire latent (j'ai bu), devant des gens un peu...assis. Mais ça sent bon le bois. Et Jean-Christophe, à qui je dois ma venue ici, me file une compilation de Will Oldham.
Le lendemain, à Douai, informé par Yvan, du présent site, je vais voir l'exposition Spilliaert, un peintre belge du début du XXe que j'affectionne particulièrement, pour ses grands à plats sombres, ces paysages de mer et autres portraits fantomatiques. Magnifique. Quelques heures volées dans le vieux Douai avec mon petit garçon, décidément, j'adore ces décors du Nord, réminiscence d'une BD qui m'a marqué à mes 11 ans, "La ville qui n'existait pas" de Christin et Bilal, et d'où me vient, mon goût, pour la brique rouge. J'en mangerais. Je joue dans un hippodrome, au centre de la ville, sous les caméras de la télé belge, pour un documentaire sur ma pomme. Très bon concert, en toute humilité, call me Mister Modeste, avec un public de rêve, bon enfant mais pas trop, attentif et réactif, des gens vivants, bien vivants.
Quelques jour de pause encore, il me tarde d'enchaîner les concerts, d'être dans le bain intensif de la fin-Novembre. En attendant, quelques interviews le 19 dont une assez mémorable à France Inter le matin avec Rebecca Manzoni, qui commence son émission par un reportage gentiment SM sur la fessée, avec un témoignage de maître et esclave, au son récurrent de la claque administrée. Je m'enfonce un chouia en voulant "rebondir" sur le sujet, mais rien de méchant, j'espère simplement qu'on en va pas me seriner avec ça pendant des semaines. Et en fait non.
Retour à nos moutons toulonnais et le désespérant buzz, qui nous fait envisager de faire fissa nos valises, et puis non, c'est trop con. Des amis d'Aix font la première partie, Deziel (registre Superflu-Miossec, pour aller vite). Pas vu mais ils sont contents. Assez bon concert en ce qui me concerne, j'exécute le Teenage Kicks qu'on me réclame-bizarre, pas la première fois ces temps-ci et la configuration Cabaret, avec tables et chaises, ne joue pas trop négativement sur l'ambiance. Quelques casse-burnes au bar me pourrissent un peu les moments acoustiques, mais rien d'insurmontable. Pour les lumières en revanche, c'est service minimum compte tenu des problèmes électriques, Didier, l'éclairagiste pète une gentille durite après coup auprès d'un des organisateurs. Pour ma part, entre la photo réglementaire avec Dédé et le commentaires du genre "on peut toucher ?" une main sur mon dos, l'après concert ne gagne pas à s'éterniser.
Chronique du concert de Toulon ici
Le 21 Novembre - St Etienne, salle Jeanne d'Arc, petite petite forme. On me rappelle péniblement que j'ai déjà joué là il y a cinq ans avec M. Boogaerts. Dans l'après-midi, interview pour les Inrockuptibles, le numéro annuel des lecteurs, ici, un très gentil couple qui se sont rencontrés sur le site - ah, que j'aime ce genre d'histoires... - , et avec qui je refais le tour du "Détour", mais j'ai l'impression de ne pas leur raconter grand chose, fatigue à la clé. Concert bof-bof, beaucoup de plantes. Tentative quand même de sortie à St Etienne by night après, mais à part un club ambiance VRP trente quarante ans avec forts relents d'échangisme, ça groove moyen au pays de Rocheteau passé minuit.
"Alors, Dominique, vous avez mis le feu à la salle Jeanne d'Arc ?". Question posée au téléphone par un animateur de France Bleu, le lendemain. Nous somme en banlieue d'Orléans, St Jean de la Ruelle, Salle des Fêtes, ou un petit directeur avenant et timide nous reçoit, dans des murs marron-orange, qui me rappelle des intérieurs d'enfance, de déco 70's. Marcel Kanche fait la première partie, un peu laborieusement, mais j'aime asses ses sons de guitare chorus complètement désaccordée. Son manager m'avait remis son disque "Lit de Chaux" quelques mois auparavant, Marcel Kanche ayant l'intention de sampler "Nous reviendrons" pour une reprise de Cat Stevens (sic). Au début je trouvais ça un peu trop cabaret post-Tom Waits, avec une production un peu vieillotte, et un hermétisme "poète" un rien gavant, mais, mais, ça gagne beaucoup à la réécoute, beau timbre de voix, et de très beaux thèmes mélodiques, ça et là. Cela étant, St Jean de la Ruelle, concert très énergique, sur le mode Douai, avec une audience "porteuse", et ce qui ne gâche rien, des fumigènes type détergent, ils devaient envoyer ça sur le front russe en 41. Très bien tout ça.
Le 23 - Lignières-Cher
Hors l'autoroute, en périphérie de la Sologne, sur les trace de Meaulnes. Belle lumières sur la campagne. Quel plaisir, vraiment, sans ironie, de jouer dans tous ces bleds, ça va me manquer. A Lignières, deux maisons sur trois sont fermées, comme en Centre-Bretagne. La salle est toute petite, elle est tenue depuis 25 ans par des bénévoles, ambiance post bab', très chaleureuse, avec cuisine ad hoc, et, les nerfs lâchent, hilarité permanente. Le soir, le chanteur de Venus Marc Huygens, ici en solo, essuie les plâtres avec ses chansons folk, parmi lesquelles deux trois perles qui m'évoquent le Terry Callier des débuts (The New Sound of Terry Callier 1964- Chef d'œuvre) dans les harmonies. Le son est mat, très mat sur scène, ça ne porte pas, et le public très hétérogène non plus, mamies et indie popeux côte à côte.
C'est bien reçu quand même d'après ce qu'on me dit, et l'après concert est arrosé. J'y recroise le chanteur Erik Arnaud, qui m'avait proposé de l'aider à faire son deuxième disque il y a trois ans (finalement c'est un ex-Swell (Monte Vallier) qui s'y est collé, je ne voyais pas bien quoi lui apporter, je le sentais trop à cran avec ses chansons). Il a l'air plus détendu qu'avant, moins anxieux. Son disque sorti en début d'année s'est fait assassiner par les uns et les autres, pour cause de texte trop plombés, apparemment sans distance, dans une veine post diabologomesque, en plus pop. Personnellement, je l'ai beaucoup écouté. Mélodiquement, je le trouve bien inspiré, avec du Murat-Manset dans les parages, et sa voix, austère a de la personnalité, et il y en a pas tant que ça dans nos contrées.
D'accord, il y a un coté insupportable dans son discours pris au premier degré, mais j'en connais peu pour faire passer des paroles aussi improbables que "ne demande pas pourquoi je vis/comme une merde", avec en même temps autant de conviction que de retenue, et sans que la douceur mélodique ne rende le propos obscène. Mine de rien, c'est un petit tour de force. Il ne mégote pas il ne cherche pas à faire le malin, et, j'espère que les critiques émises ne lui feront pas trop verser d'eau dans son vin, que j'aime bien. Ecoutez la chanson "Jalousie", et on en reparle. Cela étant, c'est l'heure d'y aller, dormir dans un hôtel charmant, en pleine brousse, sommeil de plomb réparateur, ici, le silence veille au grain.
Le 25 Trianon Paris. Bon. Nous y voilà. Le point d'orgue. Laurent Tuel m'avait bien dit que c'était la plus belle salle de Paris. Pas menti. Quelques verres le midi avec la Comment Certains Vivent Team, à qui je donne beaucoup de pain sur la planche ces temps-ci, ils me confient que des gens sont déçus par le coffret (ou est le live ? que ça, comme inédits ? c'est cher..), quoi dire, si ce n'est que l'objet n'avait pas tant pour vocation d'apporter du neuf que de faire le tour de la question, de façon ludique et subjective, dans un bel appareil (inédits liés à la période Auguri mis à part, c'est trop récent, et encore "procurable"). On papote, j'ai la confirmation que les pires horreurs de ma jeunesse sont téléchargeables sur le net. Merci les gars. Dans l'après-midi, je retrouve mon ex-compère de tournée Gaëtan (bassiste de l'Auguri Tour), venu filmer les concerts parisiens, au cas où on puisse en tirer quelque chose. L'heure approche, Deziel entre en scène, ça m'a l'air bien, mais je suis trop nerveux pour juger, ils sortent heureux, heureux et tristes que ce soit fini, ils avaient répété comme des ânes, le Label Pias les faisant mariner dans l'antichambre d'un contrat, les habituelles tergiversation des label-managers frileux, incapables de donner du "oui ou merde", au cas ou une rumeur favorable viendrait à se propager, avoir les gens sous le coude. Same old story. Je monte sur scène et l'accueil est impressionnant, ça me met dans un état électrique pas possible que le public alimente, crescendo, poussé par un son de scène mafflu. Après le deuxième rappel, je suis dans la cabine de douche et j'entends encore les gens hurler, toutes lumières allumées, j'y retourne, lacets défaits. Jamais vécu un truc pareil. Champagne.
Après champagne; ça va, la voix n'à pas l'air trop attaquée.
Je rencontre le midi Angela Clouzet, journaliste qui travaille à la réédition d'un ouvrage de référence sur Brel écrit par son père dans les années 60, à laquelle elle veut ajouter une interview croisée de chanteurs actuels sur l'impact de Brel, à savoir B Cantat, C. Olivier des têtes Raides et ma pomme. J'hésite, le coté table ronde à trois rappelant une autre largement célèbre, mais elle me rassure, on n'est pas là pour jouer à machin dans le rôle de truc. Bon vu comme ça d'accord Angela. Petite réunion avec l'Olympic Tour Team, Charles, Sandrine et Céline, apparemment une tournée de clubs se profile en Allemagne au printemps, très bien. Charles me convainc d'accepter diplomatiquement que figure "Je t'ai toujours aimée" sur une compil EMI moisie avec tout et n'importe quoi sous l'appellation ultra-démotivante "Rue des chansons". Je suis lâche, alors, j'accepte, mais mauvaise conscience d'alimenter ce genre de moisissures, dont je me demande a) qui a l'idée ? b) qui achète ? Retour au Trianon, je traînasse dans les couloirs, j'adore ça, glander dans les belles salles, faire le tour du propriétaire (on peut rêver ...), avant l'heure H, bien avant. 19h30, Marc Huygens joue, je me sens tomber malgré les hectolitres de café, thé miel, guronsan, et je fais un concert galérien, la pente est rude, j'ai la nette impression de chanter comme un porc, où est la belle aisance d'hier, et la Mémoire aie aie aie le courage, mais de fil en aiguille, en bouleversant l'ordre du set, j'arrive à émerger, les gens se lèvent. Qui a dit que les parisiens étaient blasés ? Champagne, mais ça fait cher la coupe.
Redescendre. C'est dur. Déjà, la nostalgie de ces deux jours au Trianon, la beauté du lieu, l'ambiance dans les loges du bon, avant , après. Et la transition est duraille. C'est joli Guilvinec, Sud-Finistère, beau port de pêche, avec la ronde des bateaux de retour à 17h30. Mais il fait froid -10° pendant le concert. J'ai pourtant l'impression de ne pas être si mauvais que ça, mais rien, le degré zéro de l'ambiance, coincerie intégrale. Robert, le dirlo du lieu, en est tout marri. Pas grave Bob. Il me reste les portraits qu'ont fait de moi des enfants de 9 ans (assez troublant, d'être accueilli par tous ces autres moi accrochés dans la loge), et le souvenir de gens aimables toute la journée. Le lendemain, petit tour sur la côte, à la torche, paradis pour surfeurs. C'est magnifique, la lumière matinale donne à la mer et aux rochers des couleurs de rêve. Vagues énormes, je comprends ici ce qu'on entend par "une vague qui enfle". La route ,en silence, nous sommes tous les quatre des loques. Je ne parle pas souvent d'eux. Qu'il me suffise de dire qu'évidemment, les relations des gens en tournée sont particulières. Quatre est un chiffre idéal, pour tourner, quand les gens s'entendent bien. C'est le cas, plus même. Nous dialoguons par onomatopées, grimaces, et le camion est un monde clos, auquel il va être difficile de renoncer, une fois la tournée finie. C'est une espèce de complicité régressive qui donnerait presque l'envie que ça ne , s'arrête jamais. Il faut se faire violence pour arrêter; en fait, suspendre un temps cette vie, entre garçons, pas entre mecs, non, l'horreur, entre garçons, entre copains, avec tout le côté vieillot de la chose. Me sera t-il un jour accordé de voir le Mans autrement que sous la pluie? La banlieue du Mans précisément, Allones, dont la laideur joue instantanément sur le moral d'Alban, régisseur de son état, à faire passer la Courneuve pour le Taj Mahal. J'ai joué ici déjà il y a 10 ans en première partie de Kat Onoma, cf une lettre du coffret. C'est la chauve-party ce soir, avec Vincent Baguian en première partie. Le gars est sympathique, mais son répertoire trop chanson-chanson pour moi, post brassentite aiguë, textes "amusants" ... On a décidé de me faire payer le Trianon, pas possible, ce soir encore, mon public, "enthousiaste à l'intérieur", une fois de plus, si je m'en tiens à ce qu'on m'en dit après, je ne peux que me fier à ça pour me rassurer, vraiment, sinon l'impression de faire chier les gens, bien tenace, mais personne ne part, alors quoi ? des fois envie de ruer dans les brancards, d'invectiver, mais non, pas le droit, je me mépriserais trop après. Je propose, on dispose, c'est la ligne à tenir.
Après Allones et sa grisaille, la charmante Gif/yvette, dans la Vallée de Chartreuse, des arbres, de l'eau, de belles lumières, de la vieille pierre. Ca sent la fin de tournée, avant goût de cafard. J'injecte le reste de mes forces dans un concert plutôt plaisant, avec oh miracle, des gens vivants, qui crient même des fois rendez vous compte. Jacques Higelin, oui Jacques Higelin, vient me lancer des fleurs à la fin du concert, et même si je ne l'ai jamais vraiment écouté, ça me fait quelque chose, vu la bouteille du bonhomme, et il est agréable, il n'a pas l'air de se la raconter, et il ne la joue pas paternaliste.
Les boys and girls de Comment Certains Vivent, plus Stéphane, infatigable arpenteur-capteur de concerts auquel il faudra bien un jour consacrer un article minimum (depuis des années, il constitue une incroyable bande d'archives live vidéo et audio), font péter le champagne (1993) et une heure plus tard, mes camarades me larguent avec ma guitare comme un pauvre folkeux porte de St Cloud. Retour chez moi le lendemain, à Bruxelles. Jamais eu autant le cafard d'après tournée. Pour la première fois, l'impression de n'avoir pas tourné assez, avec ces lumières, cette formule (oh le joli mot), qu'on aurait pu en remettre une couche. Mais non. En guise de soutient moral : mon fils; l'album de The white Birch (décidément très bon, je re-recommande); le mythique "Animal on est mal" de
Manset, qu'une âme bien intentionnée m'a gravé et c'est impressionnant, la chanson titre, qui à mon âge, 34 ans, a vraiment une ambiance incroyable, c'est une sorte de pop-rock sixties d'outre-tombe, visité par des cordes spectrales; l'album de Katerine, attachant jusque dans ses ratages, ses trucs impossibles pseudo soul où les esprits conjugués de Michel Jonasz et de Vanessa Demouy frappent trois fois (les deux premiers titres sont excellent, après on peut estimer que ça se corse, mais on peut aussi s'attacher, malgré les Recyclers et leur groove variétoche, malgré les clichés Dandy et la paresse de certains textes); la nouvelle lettre et le livre de Frédéric Yves Jeannet qui me remercie pour l'envoi de "Remué"
et d'"Auguri" qui visiblement l'emballent, je suis aux anges et je me fait un ami, encore un. Donc, rentable ton blues, garçon, même si tu as niqué ton fute de scène en faisant le con à Gif/Yvette, rentable ta morve et ta prose empruntrée à Caliméro. De fait. A bientôt, les amis.