Rapport d'inactivité #7

Rapport d'inactivité #7

Finalement, il faudra bien y venir, après l'intermittence, qui semble signifier qu'on est pas tout à fait là, du moins pas tout le temps, la disparition. Je veux dire après avoir été dans le spectacle, un peu, comme hors du reste, ne plus y être. Au vu des quelques mois que je viens de passer, personnellement, ça me semble presque (tout est dans le presque ?) envisageable, sans dégradation notable de mon moral. Devenir, en disparaissant de la sphère publique comme ils disent, un permanent de la vraie vie en quelque sorte. C'est à dire, hors scène, hors médias, un intermittent de l'amour, de la haine, de la joie, de la colère, de l'ennui. etc….On n'y coupe pas. Attaquez-vous à une intermittence, quinze autres d'un genre différent vous tombent dessus. Pas toutes rémunérées, celles-là
A part ça, et là je vous préviens, ça va devenir vaguement démoralisant, inutile de se voiler la face, comme le mois dernier, pas beaucoup de jus pour mon rapport, camarades. Comme on disait jadis,"tournez la page ", dans les livres disques de mon enfance, je vous conseillerais bien " cliquez ". Mais quand bien même, quelque chose vous tient, vous voulez savoir où ça va, ce petit conglomérat de signes. Pas trop de mauvaise conscience de ma part puisque globalement, les gens n'ont rien contre, les phrases sans idées, sans conséquence, au contraire, le fait qu'on puisse faire des phrases sans idées, sans conséquences, rassérène, ça remet tout le monde à niveau, celui de la mer, et encore, quand ça culmine. Avec ce type d'assertion, on en vient vite entre autres, à ce bel égalitarisme dans l'art, cet hypocrite " do it yourself " induit par le punk, qui n'était en somme comme souvent les mouvements contestataires sans effusion de sang, qu'une mouvance démago en avance sur son temps "Fais le toi même" si tu veux mais surtout ne vient pas m'emmerder après avec.

Une idée pour me tirer de ce mauvais pas, cette prose absente, idée dont l'efficacité a fait ses preuves (même si, je sais, tant va la cruche à l'eau…) : vous conseiller de quoi vous fatiguer les yeux, les oreilles et le cerveau. Yeux et cerveau preums, avec tout d'abord trois romans :
- " Et puis " de Soseki, au Serpent à Plumes. Un jeune nanti, dans le Japon traditionaliste et moralisateur du début XXème, cultivé et oisif, fait l'apprentissage de la volonté, se mettant délibérément en marge pour honorer une dette d'amour. Roman de 100 ans d'âge, langue d'une modernité intacte.
- " Minuit " de Julien Green (Livre de Poche). Une jeune fille perd sa mère, suicidée par amour, échappe à ses tantes revêches et quelques années plus tard, se retrouve placée par sa famille d'adoption dans une étrange bâtisse, où les résidents ne vivent que la nuit, et où vont se démêler les fils de sa destinée. Roman écrit dans les années 20, magnifique dans ses va et vient entre fantasmagorie et réalité, apologie de la nuit, comme beaucoup de livres écrits entre les deux guerres, où les auteurs français n'ont jamais mieux parlé de la nuit, avec comme cette prescience qu'à peine sorti de celle de la grande guerre, et malgré les années folles, on était déjà de plein pied dans celle de la guerre à venir.
- " Les émigrants " de W.G. Sebald (Folio). Quatre portraits contemporains d'émigrants allemands, ici et là dans le Monde, hantés à leur corps défendant par le passé, et la rupture d'avec le pays d'origine quelques décennies plus tôt, en rapport principalement avec la période nazie. Présenté sous forme d'enquête, avec photos à l'appui, dans une perpétuelle oscillation entre fiction et documentaire, ce livre, qui révéla Sebald, donne mieux que tout autre chair aux notions de passé refoulé, d'arrachement de l'exil. Très prégnant.

 

 

 

Quelques B.D., maintenant, avec tout d'abord la réédition d'un comic américain SF des années 60 signé Jack Kirby. Gamin, lecteur de Strange et consorts, je détestais Jack Kinby, pour l'épaisseur de son trait, son ultra violence, ses personnages caricaturaux, qui semblent tous luire comme du métal, et ont sans doute influencé Druillet. Aujourd'hui, je me pâme devant ce dessin unique, cette propension à l'enaurme dans le cadre étriqué des petites cases. Dans "Mister Miracle" (Vertige Graphic), Kinby, scénariste et dessinateur s'autorise tous les débordements graphiques et les absurdités scénaristiques, c'est con à souhait, jamais touchant, jamais traversé par ne serait-ce qu'un micro-sentiment d'humanité, et assez réjouissant pour ça aussi.

Son exact opposé Dupuy et Berbérion et leur héros "Monsieur Jean" dont la sortie du 6ème volume " Inventaire avant travaux " m'a fait découvrir la série, très très attachante, une façon bien particulière de sublimer par la plaisanterie les choses de la vie d'ici, en France.

 

 

Après les livres, surprise, les disques, au nombre de 2, excellents, et qui placent Chicago au centre des réjouissances auriculaires, comme eût pu l'écrire Hervé Picart :
- HIM : " Many in high places are not well " chez Fat Cat, sorte de croisement heureux entre le post-rock chicagoïen et l'Afrobeat nigérien, sans délayage de sauce (morceaux d'une longueur raisonnable, ça me fait penser que j'ai réecouté, par vice, le dernier Godspeed you truc, et franchement, persistons, plus ininspiré, prétentieux et attrape couillons, je ne vois pas. Et faux cul, j'allais oublier).
- SUFJAN STEVENS : " Greetings from Michigan the great lake State ", Magique disque de pop ambitieuse vraisemblablement enregistré avec quinze dirhams, qui commende avec un morceau triste de l'acabit du " Homecoming queen " d'ouverture du 1er Sparklehorse, et qui, soixante deux minutes supplémentaires enfile les perles en mariant les Beach Boys, Stereolab, Eliott Smith, la Danielson Family (dans laquelle officie l'individu) entre autres, lors d'une sorte de parcours affectif dans l'état du Michigan, auquel les chansons se réfèrent. Pourquoi certains " petits "disques sont-ils tellement lumineux ? Sans doute parce qu'œuvres de solitaires, la lumière était moins filtrée dans les pièces où ils ont été faits, en dehors desquelles nul ne les attendait, sans doute ; dans l'isolement, la folie douce, celle, ici, d'être à la hauteur des demi-dieux du songwriting des années 60, est très bonne conseillère. Pas entendu beaucoup mieux cette année depuis l'évaporée comptine pour un cochon liquide de Lisa Germano qui, si elle était un livre, s'appellerait " Minuit " (la comptine, pas Lisa).

Du temps (quelques jours) de passés depuis la phrase précédente, et déjà, septembre terni par deux avis de raccrochage de ligne : Johnny Cash et Lithium.
Pour Cash, quoi dire, si ce n'est, parmi les 1500 chansons enregistrées durant son existence, se replonger tête la première dans ses deux derniers disques, requiems country goths d'une force hallucinante. Quant à Lithium, évidence d'écrire que sans Vincent Chauvier, j'aurais sans doute eu l'honneur de roucouler devant beaucoup moins de monde. Peut être oui, peut être non, en tout cas, dette il y a. Pas toujours simple de travailler avec lui, beaucoup d'enculages de mouche, mais c'est la moindre rançon de la ferveur et de l'implication, à bras le corps. Quelques images, évidemment, me reviennent, liées aux débuts, lui et moi dans un café à Nantes, avant la sortie de " La Fossette ", rêvant d'en vendre 3000 exemplaires, lui me disant sa hantise d'échouer et d'entendre plus tard des gens lui dire "quel dommage d'avoir arrêté, c'était si bien". Donc, les amis, si jamais vous croisez Vincent Chauvier et voulez lui montrer votre reconnaissance pour le travail abattu, n'allez pas lui dresser une couronne de lauriers posthumes, titillez le plutôt sur tel ou tel disque de Lithium, dites lui que tel album a un son vraiment pourri, que c'est une honte d'avoir sorti ça en l'état, histoire de le faire monter sur ces grands chevaux, et lui donner l'idée de s'y recoller. Il y a quelques coups de pieds qui se perdent pour réveiller la fourmilière pop-rock en France, ne pensez-vous pas qu'on y roupille sec depuis un bail ? Vincent a fait du foot, il a un bon coup de pied.

En bas de chez moi, j'ai la chance d'avoir une librairie d'occasion de premier choix, où on peut trouver nombre de nouveautés à moitié prix. La raison en est bien sûr que les critiques littéraires, comme leur collègues dans la musique, viennent arrondir leur fin de mois en revendant les bouquins qu'on leur envoie. Ils ont apparemment peu de scrupules à le faire, puisqu'ils n'ôtent, généralement pas la page où l'auteur leur a dédicacé son livre. En général, la dédicace consiste en un appel du pied qui se veut soit humoristique, soit complice, jusqu'à tirer sur la corde sensible. Il y en a une que j'ai relevée : " A (X), à qui je dois de m'avoir suivi et soutenu depuis tant d'années ". Je ne sais pas si l'auteur de cette phrase y croyait lorsqu'il a fait cette dédicace, mais si c'est le cas, on peut en déduire que le revendeur est une raclure de bidet, à trois titres : premièrement, parce qu'il touche une somme substantielle sur un objet qu'on lui a offert, sur lequel l'auteur ne gagnera pas la moindre roupie, et qu'il n'a vraisemblablement pas lu ; deuxièmement, parce qu'en laissant cette dédicace figurer sur l'ouvrage (pour en augmenter la valeur marchande ? ), il humilie l'auteur aux yeux du lecteur potentiel, laissant entendre que le livre ne vaut pas tripette, et incitant à éprouver un sentiment de pitié dégradant pour l'auteur et son incommensurable naïveté ; enfin, parce qu'il a trahi la confiance d'un tiers. Si l'auteur de la dédicace n'est pas sincère, on dira que c'est bien fait pour ses pieds, ce qui n'exonère pas pour autant le revendeur, qui n'est certes alors plus une raclure de bidet qu'à deux titres.
Ce genre de pratique n'est cela dit pas l'apanage des gens de lettres. Je me souviens, du temps où Vincent Chauvier m'avait proposé de faire un disque sur son tout neuf label, avoir envoyé à un journaliste qui me le demandait un exemplaire du " disque sourd ", vinyle autoproduit, pour écrire quelques lignes dessus dans un quotidien national. Ce disque tiré, il faut le rappeler, à 150 exemplaires, avait été tiré à compte d'auteur donc, à raison de 40 FF l'exemplaire. A quoi s'ajoutait les frais de port, soyons mesquins. Quelques années plus tard, un ami m'a confié qu'une de ses connaissances avait acheté le dit exemplaire chez un soldeur, à 500 balles pièce. Il était indubitable que c'était le disque en question, puisque le nom du destinataire apparaissait sur la pochette sérigraphiée : je l'avais dédicacé. En apprenant cette histoire, un petit sentiment de honte a fait surface en moi, la très nette sensation de m'être abaissé, oh, un rien, une légère génuflexion, mais toute légère génuflexion peut à la longue être à l'origine d'humiliations un peu plus senties.

Je me suis permis, j'espère que vous ne m'en voudrez pas, de jeter un œil sur le forum. J'ai remarqué que quelques internautes attendaient de moi une plus grande réactivité à l'actualité. Je voudrais simplement dire que je mets un point d'honneur à ne pas émailler ma prose webifiée par les bons soins du SYG, grâce leur soit rendue, de réflexions de comptoir, pour ne pas participer à l'obscénité ambiante du discours médiatique sur tel ou tel "point chaud". Quitte à ne parler de presque de rien, autant que ce soit un presque rien auto décidé, auto dicté, par nulle autre motivation que le plaisir d'attirer l'attention d'autrui sur "autre chose" justement, parmi les innombrables à côtés de l'actualité, qui font le monde, hors le " petit bout de la lorgnette ", comme il était dit dans le générique d'une déprimante émission de dimanche après-midi dans les années '70. 

A l'heure où j'écris ces lignes, il fait, après des jours de temps radieux, bien gris pluvieux sur Berlin, que je contemple depuis le 7ème étage d'un hôtel, plein centre, tout près de la place Rosa Luxembourg. Après un petit concert de chauffe à Mains d'œuvres, St Ouen, où je me suis rarement senti aussi serein sur scène, un plaisir, je suis venu ici avec mes deux camarades jouer aux Francofolies de Berlin, un peu à l'arrache, genre " tu montes sur scène, tu feras tes réglages après demain ", mais c'est passé, en force. Croisé là-bas un ami d'adolescence provinoise, pas vu depuis 20 ans, lui aussi musicien, je ne le savais pas, drôle d'afflux de souvenirs, de noms jetés en pâture avec lesquels la mémoire descend loin dans les oubliettes pour leur attribuer un visage, le sentiment finalement assez doux du temps passé. Fait du studio avec Philippe Poirier, pour son disque, en compagnie de Bernd Jestram, Stefan Schneider et Ronald Lippok, de Tarwater et To Rococo Rot, très beau travail collectif, avec un grand sentiment de liberté d'exécution, les synthés qui sans cesse bourdonnent ou carillonnent, et la bande qui tourne en permanence ; envie de travailler ensemble dès que possible. Mais pas aujourd'hui, la Lufthansa m'attend.
Horoscope pour tout le monde : que du bon.

 

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