Octobre 2009

Octobre 2009
Illust. Blonde (merci !)

 

Innocemment, inconséquemment, j’avais tablé sur un billet mensuel, l’hiver dernier. Bon. Désolé. Ce n’est même pas que le temps m’a manqué. C’est qu’il ne nous oblige à rien, si ce n’est au bout d’un moment, à tirer notre révérence, et encore, je ne suis même pas sûr qu’il soit dans le coup ; il nous laisse juste avec nos résolutions hâtives et nos paroles non tenues, et démerdons nous avec ça.

A vrai dire, si je remets le couvert aujourd’hui, ce n’est pas par scrupule, ni parce que j’ai une nouvelle fracassante à annoncer. Il y a qu’à un moment revient l’envie de pointer le doigt sur ce qui me nourrit, en vrac, d’essaimer noms et titres comme les cailloux que le Petit Poucet laisse derrière lui pour retrouver le chemin de sa maison. Juste au moment où, précisément, je me prépare à quitter la mienne, à repartir jouer la scène originelle, de ville en ville, d’aire d’autoroute en bretelle périphérique, de coulisses en avant scène en quête d’un peu de chaleur humaine à distance, d’occasions de me rassurer sur la valeur éventuelle de ce que je fais.

Difficile pour moi de ne pas me livrer comme par le passé à un étalage de références. Pas dans l’idée d’inciter quiconque à la surconsommation culturelle ; je passe pour ma part beaucoup de mes dividendes dans les disques et bouquins, j’achète souvent un peu n’importe quoi, et c’est le seul luxe auquel je tiens, mais loin de moi l’idée de convaincre quiconque de suivre le même chemin. Simplement, comme il y a des gens qui s’obstinent, contre vents et marée, à produire des œuvres à destination de ceux qui attendent de la vie autre chose que le dernier Tarantino ou la remasterisation des Beatles, eh bien nous ne sommes jamais de trop à leur faire honneur, ne serait ce même qu’en les citant. Mais foin des préambules. Parmi tout ce que j’ai écouté ces derniers mois, m’ont harponné :

  - « The opposite is true », le dernier disque de Morning Star en date, sorti il y a un an ou deux, une merveille mélodique qui réconcilierait presque avec le mot « folk » :

Morning Star Holden Cyrz

-  « Fantomatisme » de Holden, pour le mystère niché derrière chaque chanson, chaque son, cette manière qu’ils ont de jouer avec la trame des morceaux, et l’inventivité de la production ;

-  « Mélancolie Frénétique » de Cyrz, qui, en dépit de son titre, c’est le cas de le dire, à chier, confirme un ton bien à part, et qui, sensiblement plus orchestré (par Mike, de Dyonisos) que l’album inaugural, recèle quelques très beaux moments tels « Double infidélité », qui apporte son lot de frissons ;

-  « Alloriarneq » de Tuumotz, acheté lors d’une énième excursion groenlandaise, sorte de Psykick Lyrikah inuit, sombre et habité, la phonétique du Grand Nord se mariant idéalement aux sons des boites et claviers hip hop (pour la distrib’, évidemment, c’est pas gagné, mais il a un myspace);

-  Autre français, François Audrain, et ses « Soirs d’été », une collection élégante de 13 chansons où la mélancolie n’est pas un vain mot. Musicalement, c’est sage, ça ne déborde pas, mais les mélodies ont un fort goût de revenez y, qui font que le disque est très attachant, et que, de fait, on y revient. Comme chez Cyrz, en moins acide, l’impression d’entendre quelqu’un qui n’essaie pas de jouer un rôle, de paraître autre que ce qu’il n’est, ce qui, mine de rien, ne court pas les rues.

Tuumotz François Audrain The horrors Taken by trees


- « Primary Colours », de The Horrors, pour la production retorse de Geoff Barrow, la gangue sonore qu’il crée avec des morceaux qu’on devine à la base pas transcendants ; s’ils pouvaient d’ailleurs congédier le guignol qui « chante », avec ses glapissements à la Brett Anderson…

- « East of eden » de Taken by Trees, œuvre d’une suédoise en goguette, si j’ose dire, au Pakistan, réalisé avec des musiciens locaux, un joli disque un peu Nature et Découverte, mais très harmonieux et finalement assez original.

 

Francois and the Atlas Mountains Quaisoir Boulbar

Par ailleurs, écoutés une fois seulement parce que juste reçus, trois disques français qui méritent vraiment que vous alliez y voir de plus près : chez l’excellent label Talitres (diffusant par chez nous The Organ, The National, Swell…), « Plaine inondable », de Frànçois and the Atlas Mountains , un bel opus franco anglais, impressionniste et gracieux, à l’image des aquarelles ornant l’objet ; et chez Roy Music, autre label français, les nouveaux albums à venir de Quaisoir, « Missiles », néo chanson mâtinée d’influences américana toujours très inspiré mélodiquement et aux arrangements chatoyants, et de Boulbar, « Requiem pour un champion », concept album intrigant autour de la chute d’un boxeur américain, une ambiance de polar musical de bon aloi, réalisé avec une fine équipe (musiciens de Mendelson, Jack the Ripper, Yann Tiersen…) et couplé à une bande dessinée de Vincent Gravé (éditions les Enfants Rouges) : beaux dessins, bonne musique et belle idée de rencontre artistique. Sortie en novembre pour le livre disque, et le disque seul, comme celui de Quaisoir, est téléchargeable sur www.roymusic.com.

R.J. Ellory Les livres, maintenant (comme tout ça file droit…) :
 -    « Seul le Silence » de R.J. Ellory , un polar élégiaque qui m’a méchamment embarqué, à la fois poétique (une gageure, vu le genre) et tendu comme un arc, sur la permanence du passé, la vie des morts, des thèmes qui, vous le savez sans doute si vous lisez ces lignes, me sont chers. Dommage que l’intrigue charrie son lot d’invraisemblances, mais c’est le genre qui veut ça, jamais lu un polar dont je ne me sois dit à un moment donné que c’était fort de café. A cette réserve près : essentiel, pas moins, avec une atmosphère qui ne vous lâche pas bien après lecture.

La chambre solitaire -    Je suis actuellement plongé dans « La chambre solitaire », de la coréenne Shin Kyong-Suk, paru chez Picquier l’an dernier : un beau récit diffracté sur une fin d’adolescence en Corée du Sud, en des temps troublés (début des années 80, dictature), et dont les souvenirs ont été refoulés par l’auteur ; devenue écrivaine, à la faveur de messages d’anciennes camarades qui agissent comme de violents rappels de piqûre, elle interroge sa mémoire. Un livre notamment sur les rapports conflictuels avec les autres qu’induit une littérature qui entend rendre compte d’un passé dont ils font partie, et sur ce que la littérature, tributaire de la mémoire, peut apporter ou non d’éclaircissements et d’apaisement aux souvenirs les plus douloureux.

 



Le trombone illustré Yvan Delporte -   Plus léger : nombre de néo quadras ayant barboté gamins dans les bulles de l’école de Marcinelle, autrement dit le Spirou de la grande époque, des années 50 à 70, auront probablement eu récemment des vapeurs en découvrant sur les présentoirs des librairies la réédition par Dupuis de l’intégrale des 30 numéros du Trombone Illustré ; le Trombone était un supplément mythique dans Spirou à la fin des années 70, débridé, bordélique et graphiquement splendide, sorte de laboratoire déconnant au sein d’un journal alors un rien plan plan, et dans lequel Franquin a publié ses premières Idées Noires. Un vrai bonheur de redécouvrir cette somme, qui n’avait fait l’objet d’aucune réédition depuis près de 30 ans ; d’autant qu’un autre gros bouquin, consacré au maître d’œuvre du Trombone, Yvan Delporte, figure emblématique de la BD belge, rédacteur en chef mythique du Spirou dit de l’Age d’Or (années 60), sort conjointement : superbe iconographie, innombrables témoignages des collaborateurs de Delporte, personnage insaisissable, magnétique et parfois irritant, et un pan conséquent de la petite histoire de la bande dessinée belge qui défile sous les yeux. Seul bémol, ça douille : 120 euros pour les deux livres, qui se posent là, quand même.


Juste deux dernières petites choses : premièrement, je ne tiens plus de chronique dans TGV Magazine. Je n’ai pas été remercié : Sylvain Fanet, son rédac’chef et moi-même, avions simplement convenu que j’arrêtais de m’y répandre cet été, parce qu’ils changeaient de formule, et parce deux ans, je trouve que c’est une bonne échéance pour un chroniqueur, sans même parler de la tournée qui s’annonce, si la pandémie dont j’ai eu, avec 18 ans d’avance, la riche idée de prendre le nom (j’aurais du déposer un copyright) le veut bien.
Enfin, je voulais vous inviter à jeter une oreille sur un site, celui de Laetitia Velma, que j’ai récemment accompagnée sur une des scènes de la Ferme du Buisson, lors de la fastueuse (au moins pour moi) carte blanche qui m’y a été octroyée le 12 septembre dernier ; elle écrit, compose et chante, et je produis et arrange en partie ses chansons, en compagnie de Dominique Brusson. Work in Progress, qui devrait donner lieu à un disque l’an prochain, si on en fabrique encore (www.myspace.com/laetitiavelma). Mais oui, on en fabriquera, rien que pour emmerder Radiohead.

Bises à tous et à bientôt peut être depuis la scène,
Dominique.

 


Un jour en moins


Dernière minute : insomnie, levé tôt ce matin, me suis plongé dans un livre court qui ne m’a pas fait regretter ma nuit : « Un jour en moins », de Guy Walter (Verdier poche, 7 euros). Pas fini, le propos est fort, la langue riche, et chaque chapitre mérite une lecture lente, une immersion. C’est le récit d’une enfance tronquée par un jour absent ; l’auteur cherche à se réapproprier son enfance tuée par sa tentative de suicide à l’âge de cinq ans : « Je ne cesse de m’approcher d’une parole qui n’a pas eu d’enfance, d’une parole froide. Je le sais, je ne cesse de vouloir m’approcher de mon enfance. Le mot enfance serait l’endroit froid de ma phrase, son point d’extinction et de violence.».  Pas été saisi par un livre comme ça depuis des lustres.

 

Concerts

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