Fedaden est un musicien qui depuis son appartement toulousain arpante les possibilités que lui donne son ordinateur en terme de création musicale. De Dominique A (avec qui il collabore le temps du titre Danseur inutile) à Vangelis, il apparaît que sa musique n'est pas si figée dans les "0 et les 1". L'envie de s'ouvrir à un horizon musical plus vaste prendra peut-être un jour le dessus. Pour l'heure sort Broader, superbe troisième album. L'occasion pour nous de lever le voile avec lui sur certaines idées reçues sur l'electronica.
Quel est ton parcours musical ?
J’ai commencé mi-90 à faire des trucs dans ma chambre avec des synthés, des boîtes à rythme. Tout jeune j’ai toujours eu un intérêt pour la musique électronique et la musique plus généralement. C’est devenu un peu plus sérieux en 2002-2003, en faisant des démos. Et avec le projet Del Wire avec Cisco, on cherchait un label et on a rencontré Olivier de Nacopajaz et il nous signé. On a fait un maxi en 2003, puis l’album de Del Wire en 2004 puis j’ai enchaîné sur le projet solo Fedaden. Le premier album est sorti en 2005 (Fedaden), le second a suivi en 2007 (Palabars). Et puis récemment un maxi est sorti en avril (Verdad) avec des remixs de Kelpe, Ghislain Poirier, le japonais Aus, et le marseillais Vompleud. Et puis voilà Broader sort ce lundi.
Donc ça va comment ? Pas trop de décalage entre l’écriture et la sortie de l’album ?
Le gros a été fait entre 2007 et fin 2008, même si il y a des choses plus anciennes, mais j’assume complètement mon album. Je suis assez content même. Mais c’est vrai que le délai pour sortir l’album peut paraître long, surtout dans les petites structures.
Ça peut-être le cas dans les grosses écuries aussi.
Oui, oui. Mais c’est vrai qu’il peut y avoir un petit côté frustrant parce que toi tu as fini les morceaux et puis tu attends presqu’un an pour que ça sorte. Mais bon il faut que le label travaille le disque, fasse la promo. C’est normal.
Tes premiers souvenirs, ce sont des souvenirs de musique électronique ?
Oui c’était à la maternelle, et c’était Vangelis avec La petite fille et la mer. Ce n’était pas purement électronique, mais c’est vraiment quelque chose qui m’a marqué. Mes parents écoutaient un petit peu de musique. Par contre mes deux grands frères m’ont fait passer leur culture musicale, l’un avec des choses rock et blues, et l’autre avec la new-wave et quelques trucs électroniques aussi. Ca faisait une bonne base pour faire sa propre culture musicale.
Du coup tu placerais Broader comment dans ton cheminement ? Une suite logique, un projet complètement détaché ?
Je le placerai comme une suite logique de mon travail de ces cinq dernières années, d’ailleurs plus dans la lignée du premier album que du second qui était une escapade ambiant « expérimentale ».
Tu sens que c’est une étape en plus, la fin d’un cycle ?
La fin d’un cycle, non, je ne dirais pas ça. Le travail, l’inspiration sont en perpétuelle évolution, alors forcément ça t’amène ailleurs. C’est une évolution en terme de mastering et surtout de production. Il y a encore plus de mélodies que sur le premier album. J’utilise de moins en moins de samples, et si j’en utilise quelques-uns, ils sont vraiment triturés dans tous les sens. Y’a pas un seul morceau qui est basé sur un échantillon. C’est tout du synthétiseur, avec quelques sons acoustiques retraités par-ci par-là. Ça s’entend d’ailleurs pas trop non plus.
Les critiques commencent à tomber, celle de Magic par exemple est très bonne. À quoi t’attends-tu dans la foulée de la sortie de Broader ?
Continuer pour en faire un autre, et peut-être toucher un peu plus de gens que sur le premier pour lequel la sortie avait été plutôt confidentielle. Dans le paysage français, on n’est finalement pas si nombreux à faire ce genre de musique. Il y en a, mais pas tant que ça. C’est pas comme dans les pays anglo-saxons ou même l’Allemagne, où là c’est presque saturé. L’idée est donc de continuer son chemin. J’aimerais bien à terme travailler avec des instrumentistes, dans l’optique d’avoir presque un groupe en fait et de faire quelque chose de plus étoffé musicalement. Personnellement je suis un peu trop juste techniquement, je ne sais pas jouer de la guitare, juste un peu de clavier, je suis vraiment assisté par l’ordinateur, d’où le terme Musique Assisté par Ordinateur. Donc j’ai un peu envie de m’affranchir de ça, pas totalement mais juste d’étoffer ma palette sonore. L’ordinateur c’est bien joli mais ça a aussi ses limites. Et l’envie de travailler avec des gens est aussi forte, le côté humain bien entendu, même si je travaille tout seul depuis un long moment. Par exemple je vais faire appel à un batteur pour le live afin de moins me sentir seul derrière mon laptop. Je suis d’ailleurs assez content de ce qu’il en ressort. Y’aura des dates cet hiver, mais pour l’instant rien n’est fixé. Et puis après oui j’aimerais travailler avec d’autres musiciens.
Tu parles de rencontres, et si on se retrouve aujourd’hui c’est pour justement parler d’une rencontre, mais d’une rencontre qui n’en est pas vraiment une, puisque pour le titre Danseur inutile où Dominique A prête sa voix, tout a été « virtuel » en quelque sorte.
Oui c’est vrai. En fait j’avais fait ce morceau dans une perspective assez pop dans mon idée. Personnellement je ne chante pas, et je n’ai pas d’envie particulière à ce niveau. Et depuis longtemps j’avais envie de mêler du français à ma musique, parce que je trouve qu’il n’y a pas assez de gens qui l’utilise dans ce style de musique. Et j’avais depuis longtemps pensé à Dominique A que j’avais découvert via Yann Tiersen et ses diverses collaborations. Ensuite ce sont les relations qui ont fait que j’ai pu rentrer en contact avec lui via Olivier de Nacopajaz qui connaissait sa manageuse. On lui a envoyé mes albums, des disques du label, en lui disant que j’étais intéressé pour bosser avec lui, et puis une semaine ou deux après j’ai reçu un mail de Dominique qui a dit ok. Donc je lui ai filé un premier jet de mon morceau, et puis il a travaillé dessus à me renvoyant six pistes de voix en me disant que les trois dernières étaient les mieux. De là j’ai rebossé sur le morceau afin d’intégrer la voix, j’ai mixé et puis après un dernier ajustement au niveau de la voix, c’était fait. Sans rencontre physique donc. On aura peut-être l’occasion de se croiser lors de sa prochaine tournée…
Au départ, cette idée de collaboration était délibérée, afin de brouiller un peu les pistes par rapport à ton univers musical, ou est-ce que le morceau l’imposait de lui-même ?
Le morceau l’imposait et c’était l’occasion de casser un peu les codes de la musique électronique où tu as habituellement un featuring avec un rappeur américain, donc oui c’était prendre le truc à contre courant et de faire chanter quelqu’un en français. Je trouve ça très bien. Mais c’est vrai que le morceau l’imposait. Par forcément avec Dominique A au départ, mais j’y ai très vite pensé, en me disant que l’ambiance était là, que ça calerait bien, que ce n’était pas si éloigné de son univers. Dans l’electronica les gens trouve ça bizarre, mais je l’assume complètement, je suis même un peu fier d’ailleurs.
Par rapport à la scène, est-ce tu as l’impression que c’est plus dur pour toi, isolé derrière son ordi, que pour un groupe ?
Ce n’est pas spécialement plus dur pour moi, car là aussi je l’assume pleinement, mais c’est peut-être pour gens qui sont dans la salle à qui il peut leur manquer un truc en voyant un gars derrière un laptop, les yeux rivés sur l’écran. Bon tu regardes la foule de temps en temps, mais bon… Alors oui des fois ça me frustre de temps en temps par rapport au gens. J’aimerais leur offrir quelque chose de plus conséquent. On va procéder par étape, là je vais jouer avec un batteur, avec qui ça se passe très bien, et à la rentrée on commencera les premières dates ensemble.
Lorsque tu es sur scène est-ce que tu as la possibilité de réagir par rapport à l’audience du moment, une ambiance particulière ?
Oui, oui, je peux faire un peu ce que je veux, ce n’est pas figé, même si le live t’oblige à une certaine structure que tu ne peux pas changer radicalement. On est au XXIème sicle et les ordinateurs proposent des interfaces réussies. J’ai fait des concerts où la réaction du public était plutôt encourageante. Sur des grosses scènes, c’est peut-être un peu plus gênant.
Justement est-ce que ta musique en live convient à des ambiances particulières ? Je pense particulièrement à celle de l’espace culturel Bellegarde de Toulouse où l’on a pu te croiser, une ambiance un peu d’auditorium…
Ben justement je pense que cette formule là va plutôt très bien, mais j’aime tout autant les grosses scènes tel que l’on peut en rencontrer aux Nuits Sonores par exemple, où c’est tout aussi agréable, mais ce n’est pas la même intimité. Y’a un côté plus rock’n roll, plus festif. J’aime les deux en fait. Mais effectivement je suis peut-être plus à l’aise derrière mon laptop dans une ambiance plutôt intimiste.
Et au-delà de ton propre ressenti, ta musique peut s’adapter aux divers terrains rencontrés ?
Oui je pense qu’elle peut s’adapter facilement. Après, c’est vrai qu’une ambiance intimiste ne nuit pas à l’ambiance mélancolique de certains titres, et c’est même très plaisant. Après pour de grosses scènes il faut arriver à être un peu plus intéressant, afin qu’il y ait plus de choses à regarder, pour assurer le spectacle !
Dans la pop-music, on retient souvent la mélodie ; dans ta musique, quel est le point de départ ? une mélodie, une rencontre, un lieu ?
C’est bien souvent une mélodie sur laquelle je m’appuie. Parfois on pourrait voir une structure classique avec un couplet et un refrain, mais c’est surtout à partir d’une mélodie que je construis mes morceaux. D’autant plus ces dernières années. Mais des fois, ça peut venir d’une structure plus complexe. Y’a pas vraiment de règles en fait.
Dans ta musique y’a un côté organique, chaleureux, voire presque solaire. La couverture de l’album reprend d’ailleurs des tons très chaux avec ce gros plan d’une orchidée. Ce côté-là peut faire penser à Biosphere.
Effectivement même si je ne peux dire que cela m’a beaucoup influencé car je n’ai pas beaucoup écouté, mais y’a cette utilisation des synthés analogiques qui amène ces tons chauds, un peu ronds, avec des structures complexes et évolutives. J’aime bien aussi les sons un peu sales, un peu distordus, pas agressifs, mais avec des détails. Pas aseptisés. Je trouve ça d’ailleurs assez marrant de faire quelque chose d’organique avec des moyens globalement numériques, même si j’utilise parfois des synthés analogiques. Après tout est dans l’ordi, et ma musique c’est des 0 et des 1. L’ordinateur est surtout pour moi un outil.
SCINTILLATION from Xavier Chassaing on Vimeo.
Ta musique semble résolument tournée vers un certain optimisme, la lumière, avec quelques pointes de mélancolie, mais on très loin d’une ambiance plombée comme sur le dernier Portishead.
Oui, même s’il y’a quelques morceaux un peu sombre dans l’album, comme Vulture par exemple. Dans la mélancolie, même si à un moment donné tu as perdu quelque chose, tu regardes plutôt vers le futur, enfin c’est comme ça que je le conçois. Mais je suis content de ta remarque car y’a beaucoup de gens qui trouvent ça trop « dark », alors que pour moi, ce n’est pas du tout le cas. Y’a vraiment une bonne partie de l’album qui est très positive. Et l’idée de la pochette issue du clip de Xavier Chassaing s’est imposée facilement alors que je cherchais l’idée pour illustrer l’album.
Dans Broader, y’a des sons qui rappellent vraiment des sons d’instruments. L’affiliation avec des carillons, une clarinette se fait aisément.
Oui y’a de la vraie clarinette sur Danseur inutile, enfin c’est pas vraiment de la vraie, mais plutôt issue d’un instrument VST avec des samples de vraie clarinette basse. J’aime bien mélanger des sons un peu acoustiques, saugrenus avec la musique électronique. Et finalement j’utilise peu de samples. Dans Contrecoeur j’utilise sur quelques notes un enregistrement de Bach de 1922 ou 1928, mais c’est vraiment quatre notes remixées, repitchées. Mais bon je ne m’impose aucune limite, mais je trouve que tu peux moins faire ce que tu veux avec samples. Avec des synthétiseurs, c’est toi qui compose tout, c’est beaucoup plus simple, et tu es plus libre. C’est très intéressant de travailler sur ces propres structures sonores. Cependant je mets un point d’honneur à ne pas utiliser la même boucle durant tout le morceau sans l’étoffer un minimum, parce que ça c’est pas trop mon truc.
Est-ce que le voyage inspire la musique de Fedaden ?
La musique s’inspire des émotions, donc ça peut découler de voyages.
Et est-ce que ta musique te permet de voyager ?
Pas assez, même si là je reviens d’un festival à Sofia de Bulgarie. J’aimerais bien que cet album ait des retombées un peu plus nombreuses à l’étranger même si jouer en France me fait déjà très plaisir.
Qu’est-ce que l’on peut te souhaiter ?
Une longue vie pour l’album !!! Et puis de nouvelles collaborations, des rencontres. Pourquoi pas une nouvelle collaboration avec Dominique ? Bon je ne veux pas forcer la main, je ne réclame rien, mais j’aimerais bien !
Propos recueillis par CCV le 17 juin 2009
L'album Broader de Fedaden est sorti le 22 juin 2009 chez Nacopajaz
http://www.myspace.com/fedaden - http://www.virb.com/fedaden