Dans le bain #2

Dans le bain #2

C'est un couple d'une quarantaine d'années. Ils s'approchent alors que je parle avec des gens enthousiastes sur les marches du devant de la scène du Casino Théatre à Genève, je me sens bien, le concert était tout feu tout flamme, et lui me tend un papier froissé en main, qu'elle me demande de lui redonner illico en disant " non, ça c'est nul ". Ils me disent qu'ils sont déçus, qu'ils ne comprennent pas le pourquoi du comment de ce concert. Je leur rétorque qu'ils ne doivent pas attendre de moi de leur expliquer pourquoi ils ne l'ont pas aimé. Ils me disent que la poesie dans mes chansons est annulée par l'aggressivité de la musique sur scène, comme si la poesie n'était qu' affaire de retenue, qu' elle ne se résumait à des regards enamourés en direction de la lune. Et c'est plus fort que moi, en dépit de l'air dégagé que je veux prendre, je sens que je suis irrité, je me rends compte que la critique me touche, et qu'elle annule les compliments reçus juste avant. J'ai beau me dire qu'une discussion ne mènerait à rien (par expérience, je sais que ce type d'explication polémique d'après concert ne mène qu'à la prise de bec), je me surprends, encore aujourd'hui, à mal accepter qu'on remette en cause ce que je fais, que je confonds encore avec ce que je suis, l'implication toujours main dans la main avec l'orgueil.

L'orgueil, encore.C'est lui qui m'a fait acheter le "Weather Systems" d'Andrew Bird, parce que j'avais ouÏ dire qu'il aimait bien mon dernier disque. Loué soit mon narcissisme, puisque son folk alambiqué, dont la complexité ne nuit jamais à la fluidité des compositions, est de ceux qui me caressent le lobe (j'assume la formule, et cette parenthèse).
Comme un bonheur n'arrive parait il etc, je me suis depuis également procuré son tout chaud "The mysterious production of eggs", plus addictif encore, et comme un bonheur etc, j'ai depuis reçu une invitation de sa part pour son concert bruxellois en première partie de la chanteuse folk alternative Ani Di Franco. Un gout de trop peu, puisqu' Andrew l'oiseau n'eut que quelques dizaines de minutes pour jouer quelques unes de ses perles, dont il parvient parfois à retranscrire seul la richesse, avec des loops de violons d'une précision redoutable. Avant d'aller à sa rencontre, il me fallut subir la deuxième partie, et là, au bout de quatre, allez disons cinq, mesures, je me suis fait la réflexion que quitte à se faire chier, autant rester voir s'il n'y avait pas deux trois meubles à sauver dans l'histoire.Tâche ardue, meme pour un brocanteur averti, avec cette voix passe partout de chanteuse concernée, affèteries vocales "émouvantes" à la carte, ambiance Hard Rock Café avec éclairages idoines (bleu et rouge, comme au Hard Rock Café), "chansons" harmoniquement toutes plus laides et convenues les unes que les autres. Ca se paye une rencontre avec Andrew Bird. Le calvaire achevé, je l'ai retrouvé qui dédicaçait sagement ses oeuvres derrière un stand. Il m'a dit qu'il avait écouté "Remué" dans l'après midi, moi je m'étais passé "The mysterious production of eggs", alors on a fêté ça , on a parlé de musique, de fatigue de tournée, de comment on avait fait nos disques, et par moments, c'était troublant, un ami m'avait prévenu, je retrouvais chez lui des expressions de Yann Tiersen, dans certains mouvements de bouche, dans la douceur un peu effarouchée du regard, y aurait-il une physionomie type du violoniste prodige ? Au bout d'un moment, je n'arrivais plus bien à parler anglais, alors il a élégamment sorti sa montre à goussets, et dit qu'il lui fallait rejoindre le tour bus de la chanteuse folk alternative... 

 

Bien d'autres bien belles choses me sont passées entre les oreilles ces derniers mois, pas spécialement des gens qui aimaient bien mes disques, du moins je n'en ai rien su. Comme un peu tout le monde, y compris ceux à venir, je me suis fait attraper par Arcade Fire, comment ne pas ?, enfin une hype pas usurpée. Je me suis arrêté un temps aussi sur le disque d'Arman Méliès, "Néons blancs et asphaltine", ses belles harmonies en mineur sur lesquelles les amateurs du dernier Blonde Redhead seraient bien inspirés de jeter une oreille, sans oublier de la récupérer après pour s'aventurer sur le "Notre Dame des Limites" de Julien Baer, qui a à priori a peu près tout pour me déplaire, avec ses rythmiques funky à la Commodores francisé, mais qui me plait pourtant beaucoup, parce qu'on y sent une vraie générosité sous la distance, qu'il y a de belles trouvailles textuelles, en particulier sur les morceaux les plus doux. Encore un qui mérite bien mieux que les a priori qu' on lui colle sur le paletot. Rien que le titre pourtant devrait agripper le chaland.

Il me faut encore , et peut être surtout, me répandre un peu sur Antony and the Johnsons, et de ce joyau en ouverture de son disque, "Hope there's someone", sur lequel sa voix crève-coeur, sorte de synthèse de celles de Nina Simone, Brian Ferry, Terry Callier, Jimmy Scott, Ilène Barnes et lui-même, m'a fait chavirer comme aucune autre depuis une bonne décennie, depuis Will Oldham, en fait je crois (je me revois dans mon taudis bruxellois d'alors m'infuser à doses déraisonnables son "You will miss me when i burn", bien raccord avec la drache qui tombait dans mon triste jardin, même que je m'étais réveillé comme sur un radeau, de l'eau partout autour du lit, mais c'étaient d'autres temps et je m'égare) . "Hope there's someone", donc. A l' entendre, on viendrait vite à en douter, et si on était salaud, on lui dirait du bout des lèvres que, justement, "There will be no one who take care of you" (Palace Brothers, 1er album). Mais il le sait déjà, le bougre, sinon pourquoi ces ohoh dantesques qui viennent rompre la tristesse insondable du début, cette colère qui enfle ? Tout ça, je le subodore, est mal dit, une telle chanson mérite bien mieux que ces commentaires malhabiles. Heureusement pour moi et ma prose pataude, le reste du disque n'est pas à la hauteur de cette ouverture de rêve, avec sa soul un peu conventionnelle et sa pléthore d'invités (notamment le Thom Yorke aux petits pieds Rufus Wainwright; mention spéciale quand même à Boy George, qui, comme son inaugural "Do you really want to hurt me" le laissait présager, chante de plus en plus comme un soul man jamaïcain, avec bonheur), qui dilue un peu la sauce. Mais, à vrai dire, je m'en fous un peu, tant la première chanson me comble, et cette voix qui, sur tous les autres titres, renvoie à leurs chères études tous les pourrisseurs d'oreilles qui prétendent la jouer soul, mais qui ne laissent jamais le moindre doute poindre dans leurs harrassantes vocalises.

Chez Antony, ce doute est là bien sûr, mais pas comme une fragilité cache misère, non, puisqu'il est régulièrement mis à mal par cette autorité dont il fait preuve dans certaines intonations, comme avec l'audace du timide qui se découvre, une affirmation enfantine dénuée de toute tentative de séduction facile, et une proximité du ridicule qui ne vire jamais au kitsch. J'ai passé ça dans le camion l'autre matin, on roulait vers Poitiers; au début, les brutes épaisses qui m'accompagnent en tournée, et que j'avais seriné la veille avec ma nouvelle idole, promettant monts et merveilles, ont levé les yeux au ciel en entendant sa voix, avec des soupirs de commissération à mon égard. Trente minutes plus tard, Antony toujours aux commandes de nos ouies, il flottait comme jamais une atmosphère de douceur et d'harmonie dans l'habitacle mobile, et Nicolas souriait béatement les yeux fermés comme je lui passais délicatement la main dans ses cheveux blonds filasses.

A suivre... 

 

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