Journal de bord #3

Journal de bord #3


Dimanche 3 novembre 23h00. C'est un corbillard. C'est là que, mon comparse Brusson et moi, rejoignons les dix-huit membres de Yann Tiersen, si j'ose dire, dans un des deux bus affrétés pour un court périple en Allemagne, quelques dates. Papotis, papotas, nous regardons un film gore du début 80, "Zombies", assez drôle et parfois même assez poétique, si, si, puis écoutons le dernier Johnny Cash, qu'a ramené Yann. Sans égaler le précédent ("Solitary Man", un des disques essentiels des 10 dernières années, je pense), c'est encore une gentille tuerie, avec en point d'orgue la reprise de Nine Inch Nails, "Hurt". Incroyable comme, de Spain à U2, en passant par Nick Cave et Will Oldham, notre parkinsonien préféré parvient à s'approprier le répertoire de la "jeune" garde, dans un registre acoustico-gothique, ou gothico-acoustique comme on voudra, qui lui sied à ravir (un rêve : l'entendre reprendre Atmosphere ou Love Will Tear Us Appart). En tout cas, après le Bashung, tout ça porte à penser qu'avant la cinquantaine, il n'y a plus personne. Tenir, tenir ...

 


Lundi 4 Novembre - Darmstadt. Très belle salle, haute de plafond. En allant faire un tour chez le disquaire d'ici, je vois ma compilation locale, "A l'arrivée", en rayon, et, imprévisiblement, ça me met très en joie. Le soir venu, j'ouvre pour Yann, comme on dit, une demi heure en solo, morceaux triés sur le volet pour des gens qui ne me connaissent ni d'Eve ni d'Adam, un peux nerveux, mais ça passe, clap clap clap. Traînons dans les loges après coup, suis déclaré vainqueur à "plus de cerveau" (jeu inventé par Gaëtan Chataignier, bassiste des Little Rabbits, consistant à interrompre une parole ou un geste, par un affaissement soudain de tout le corps, comme dû à une perte totale et abrupte de toutes les capacités cervicales).
Que ne ferait-on pas pour se faire intégrer à un groupe ?


Mardi 5 - Dusseldorf. J'ouvre le rideau de ma couchette, et l'espace d'un instant, je me crois à Manchester ou Liverpool, même ambiance, même briques rouges (les mêmes que partout au nord de l'Europe, cela dit). Nous avons roulé toute la nuit, sommes garés devant le club. Nous jouons dans le cadre des "Tage der Melancholie", autrement dit les Journées de la Mélancolie, appellation moisie entre toutes.
L'après midi, j'écume avec Yann, Claire Pichet, Marc Sens et Christian Quermalet les rues de Dusseldorf, qu'il est doux en tournée d'avoir tout ce temps devant nous, c'est rare, nous dénichons le Megastore du coin, impressionnant, j'achète la lubie du moment, d'autres disques de musique contemporaine (du Kancheli, encore, et un disque magnifique, d'élégies au piano, "Der bote", par Alexei Lubimov, chez ECM, qui fait la jonction entre des œuvres courant 300 ans de composition, de Bach à John Cage, très beau, vraiment).
Yann prend DVD et Cd par poignées (une vie humaine suffit-elle à écouter tout ça, ne serait-ce qu'une fois ?), encore un trait commun entre nous. Le soir, une demoiselle nous présente au public, et là, je fais je crois, un très bon concert, le son de guitare est, va savoir pourquoi, énorme, sur scène et dans la salle, clap clap clap, ah. Ca rappelle, et après blablabla avec des gens enthousiastes, dont les gens avenants qui ont compilé l'histoire ici, et ont sorti une autre compilation représentative de la "nouvelle scène française" et les guillemets de sont pas de trop, de moins en moins même, "le Pop" ça s'appelle, et ça va de Boogaerts à Clarika(sic), en passant par Minière, Katerine et M (re-sic). Je leur dis assez diplomatiquement que leur sélection est très ... sélective cohérente mais un peu trop franchouillo-kitsch, et la pochette n'aide pas (une jeune fille tout sourire qui tend un bouquet de fleurs; rouges les fleurs). Ca me rappelle le début des années nonante en Belgique, quand tout ce qui venait de France d'un peu pop et éloigné de l'alternatif braillard -pléonasme- alors triomphant (toujours triomphant d'ailleurs hélas, toutes ces années pour quepouic, peu ou prou) était systématiquement affilié à un truc néo-yéyé kitschounet -là encore, pléonasme- qui me faisait bondir. Aujourd'hui, je ne bondis plus, et quand on me demande mon avis, je dis "c'est cohérent". Tu te ramollis, garçon.


Mercredi 6 - Berlin. Que font-ils de cette ville ? venu il y a 10 ans, je ne reconnais rien. Il faut dire, généralement, je ne reconnais pas grand chose. Dans la partie est, ça construit à tout va, des horreurs de tours, quoi d'autres, les architectes savent-ils concevoir autre chose pour loger les gens aujourd'hui ? Cela étant: c'est une journée splendide, ciel bleu immaculé, il fait caillante, j'ai vu la neige sur la campagne en me levant ce matin. La salle est au beau milieu d'une monumentale place déserte, en plein cœur de la ville, un beau chapiteau cerné par d'importantes bâtisses, dans la partie est de Berlin, pas loin d'Alexander Platz et de son impressionnante tour de guet. Quelques interviews m'attendent dans un salon de thé très beau et cosy, avec des journalistes francophiles très sympathiques, un hambourgeois très au fait de la question si on peut dire, et une jolie munichoise avec deux jumeaux dans le ventre, ex-chanteuse d'opéra et, à qui j'explique que ses futures progénitures n'apprécieront peut être pas le volume sonore du concert ce soir (je ne saurais jamais s'ils ont tenu le coup).
Tous me demandent d'expliquer le pourquoi du comment du succès de la scène française auprès du jeune public branché allemand ces temps derniers, je suis surpris, je leur dis qu'à part Yann, ça n'a pas l'air flagrant (ici, Yann draine facilement 500 personnes dans chaque ville), et que si je me trompe, ils seraient bien aimables d'en aviser le Labels local qui me distribue apparemment assez mollement. A l'heure du concert, le son sur scène est sec de chez sec, le public poli de chez poli, merci, bonsoir, (mon séminal "Ich bein Dominique A" d'intro leur aura au moins fait passer un bon moment, à en juger par les gloussements qui ont suivi) et au moment de chanter Monochrome, mes bras qui moulinent viennent se loger dans les côtes de Claire Pichet, venue me rejoindre sans rien m'en dire sur le refrain. La soirée finie, nous réussissons à choper quelques places pour aller voir sur scène Suicide qui officie à un kilomètre de là avec Pansonic, affiche sublime à priori, dans un Kolossal théâtre très stalinien d'aspect. Nous déboulons sur le premier "accord" d'Alan et Martin. Si je peux me permettre d'émettre un avis sur un truc injugeable, je dirais simplement que j'ai rarement entendu un son aussi pourri, avec concours de larsens au micro à faire pâlir Miossec. Dominique et moi envisageons deux secondes d'aller faire chier le "sonorisateur", genre "it sounds great, man" mais bon, pas assez bourrés pour ça. Le bourrier dure 30 petites minutes, et ça finit par Pansonic, qui bidouille vaguement derrière une table, mais j'aurai pu me laisser embraquer, mais fissa, il faut se barrer, le bus repart ils nous attendent pour nous lâcher à l'hôtel, Dominique et moi; les Tiersen continuent leur périple sur la hollande, les bienheureux. Le lendemain matin, dix kilomètres à pied dans Berlin, un beau parc avec une belle lumière matinale, un restau type Derrick, et l'avion, où là, nous ne regrettons pas de l'avoir joué petit bras la veille : Alan, Martin et leur "sonorisateur" sont deux rangées derrière nous. Martin à un visage enfantin quand il ne porte pas ses fameuses lunettes, un beau regard de gosse, et je l'observe du coin de l'œil, voir si lui aussi mange son yaourt à la fraise.


Vendredi 08 novembre - Avoine. De Berlin à Avoine : la classe, mon plus beau doublé.
Et en tête d'affiche s'il vous plait. Contre toute attente, chouette public, ce n'est pas la fête au village attendue, et "les élus ont beaucoup aimé", ce que ne cesse de répéter la jeune femme qui m'a fait venir ici, toute fraîchement nommée et apparemment obnubilée par les subventions à venir.
A part ça rien à dire, ils font les choses bien à Avoine, avec de belles et bonnes bouteilles dans les loges, et c'est incroyable ce genre de salles complètement impersonnelles mais très fonctionnelles comme on dit dans l'horrible jargon, dans des bleds aussi petit (1400 habitants à tout casser, une belle centrale nucléaire à coté c'est d'ailleurs pour ça qu'il doit y avoir une salle ici, comme à la Hague, pour faire passer la pilule de la centrale, on arrose les communes).


Samedi 9 novembre - Issoire, 50 km de Clermont-Ferrand. Grosse, grosse fatigue, contrecoup de l'Allemagne, les courtes nuits dans le bus à regarder des DVD de Queen (très mauvais groupe, mais au moins ils n'avaient pas peur) et de Bauhaus (très mauvais groupe aussi, qui aurait bien fait d'avoir un peu plus peur avant de se commettre dans le grand guignol goth, à mille lieues de Joy Division).
Je suis d'assez mauvaise humeur, et les buzz sur scène liés à une alimentation électrique aléatoire (apparemment dû à un cabinet dentaire environnant ... tristesse) et les châtaignes électriques au micro durant la balance n'arrangent rien. Pauvre poulet, va. Le concert est ad hoc, je rame, après un bon départ, sortez les pagaies, et je sauve les meubles, qui auraient bien besoin d'un peu d'encaustique cela dit. Retour à la maison après insomnie, dans un état piteux. Bonne surprise en arrivant, Frédéric Yves Jeannet, auteur de ce "Charité" tant aimé et que j'avais croisé à Manosque, m' a envoyé son dernier livre, avec un mot très gentil. Et j'apprends que le promoteur berlinois du concert de Yann voudrait me proposer d'autres concerts là bas.

Des retour comme ça, vous en mettez deux douzaines. A suivre...

 

 

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