Rapport d'inactivité #3

Rapport d'inactivité #3

Je ne sais pas ce qui nous a pris, pourquoi on a bu si vite ce soir là. J'étais avec Marc Huygens (chanteur de Venus), son amie et son ami, au Central Café, Bruxelles, Belgique, à écluser sauvagement, comme après sevrage. Je suis péniblement sorti de ma tanière le lendemain après-midi et j'ai vu tous ces gens dans les rues, je ne m'y attendais pas, aussi bizarre que ça puisse paraître. J'ai voulu suivre l'impressionnant cortège le long du boulevard Anspach, alors j'ai laissé passer les pro-palestiniens (l'amalgame Bush-Sharon, quoiqu'on en pense, dans le contexte actuel, équivaut à déplacer le problème, je trouve), les écolos, les affiches du Che et puis, décidément, ne voyant personne derrière qui me ranger, je suis parti ruminer ma glauquerie post-beuverie dans les rues de Bruxelles (retombant par hasard, 9 ans après, sur le Twenty Two qui fit ma fortune, bien à l'image de mon état ce jour là). Aujourd'hui, troisième jour de bombardements, et des manifs encore. Au risque de paraître défaitiste, quel poids cela peut-il avoir vraiment maintenant, vu le mépris affiché par les Malbrough anglo-saxons et hispanique pour l'opinion publique internationale, quel poids excepté dans les pays interventionnistes eux-mêmes et les pays arabes. Comme durant les manifs de l'entre-deux tours, ça sent un peu trop le défouloir, le cirque, l'indécence (beuglements sonorisés sur camionnette, jeux de mots pourris sur pancartes etc. ... comme s'il s'agissait avant tout de se faire plaisir). Comme ce concert au Zénith contre la guerre (avec paraît-il mes copains de Lolofora très en verve : "Fuck Georges Bush !", wow les gars, trop virulent), dont les recettes, si j'ai eu le malheur de bien comprendre, devraient servir à ... organiser d'autres concerts contre la guerre. Misère ...

Cela étant dit, si vous voulez lire un livre de fiction passionnant sur le messianisme, sur le mal absolu commis au nom du bien, et les justifications qu'il se trouve, je vous recommande "Messe pour la ville d'Arras", fable historique allégorique du polonais ANDRZEJ SZCZYPIORSKI (Editions de l'Age d'Homme - Collection Classiques Slaves). Parue originellement en Pologne en '71, cette oeuvre a été éditée en France en '87, et je ne sais pas si c'est facile à se procurer, je l'ai achetée par hasard dans une librairie polonaise à St Germain des Près. Ce roman retrace, sous la forme d'une confession, les maux que subît la ville d'Arras, dans le Nord de la France, au milieu du XV s (peste, persécution des juifs, chasse aux hérétiques ...). Une fulgurance parmi beaucoup d'autres, p 117, conversation entre deux ecclésiastiques :
"Depuis des temps immémoriaux, les hommes sont à la poursuite de Dieu ; ils avancent inlassablement avec la foule des estropiés et des cadavres, au milieu des cris de guerre, parmi les massacres, les meurtres et les incendies. Rien ne les arrête dans cette quête acharnée et ce serait mal faire que de vouloir les arrêter. Car aller est notre prédestination. C'est seulement en allant que les hommes se sentent libres ...
-Libres ! m'écriai-je, railleur (...). En quoi consiste la liberté que tu donnes à la ville d'Arras ?! C'est ma plus cruelle des captivités, celle du viol, de la délation, des bûchers, des conjurations, de misérables illusions ...
Il sourit à ces mots.
- Ce qui est important, ce n'est pas ce qui est, mais c'est le nom qu'il porte. Toutes les choses ne sont que ce que sont leur nom. Lorsque Dieu apparut à Moïse sur le Mont Hareb, Moïse lui demanda : " Seigneur, quel est ton nom ?". et Dieu lui répondit : " Je suis celui qui suis !". Tu parles de la captivité, du viol et des illusions dans laquelle la ville serait prise. Tu te trompes. Qu'est-ce que le viol, si tu l'appelles châtiment ? C'est le châtiment ! Et que sont les illusions, si tu les appelles foi dans le salut ? Elles sont la foi dans le salut ! (...) Ce qui n'a pas de nom n'existe pas. Et ce qui existe, existe grâce à son nom
".

Qu'avez vous fait en ce mois de Mars 2003, à part désespérer de l'Amérique du Nord ? De façon quasi certaine, vous n'étiez pas au concert de PRAM, au Nouveau Casino, Paris. Je les avais vus en Belgique, à Gand, dans un club en '94. J'avais gardé un bon souvenir de cette mixture Young Marble Giant croisant YMA Sumac croisant Stereolab croisant les Raincoats au pays de Casimir. 9 ans plus tard, c'est moins que jamais le groupe le plus sexy de la planète, la chanteuse Rosie a mangé beaucoup de gâteaux ou a eu beaucoup d'enfants entre-temps, mais pour le reste, c'est toujours le monde enchanté de PRAM, des étoiles au dessus de la tête avec ces petites notes de synthé clochettes, ces trompettes désuètes, ces basses dub, et ce timbre de voix doux et enfantin. Hors du monde, pour toujours, pour le meilleur (Dernier disque en date : Dark Island, chez Domino/Pias).

Puis j'ai vu Laetitia Sheriff, qui chantait très bien, à la Boule Noire, Paris, avec mes copains Mellano/Desbois en backing Rock Band, il faudrait un disque vite, c'est le moment, et entrevu RED, qui m'a eu l'air moins inspiré que sur disque, mais je ne peux pas bien dire, j'avais déjà trop éclusé quand ils ont joué. Puis, j'ai vu Katerine à la Cigale, Paris, je me suis bien planqué des fois que les Recyclers me repèrent, et c'était très bien des fois (Huitième ciel, Où je vais la nuit, Jesus Christ mon amour, masterpiece, il chantait bien, et des blagues si amusantes ...), et des fois je descendais au bar, quand ça groovait moche. Après concert, délégation vendéo-nantaise impressionnante dans les environs, venue soutenir leur Phi-Phi, ça me replongeait, c'était doux.

J'ai vu du théâtre aussi, entraîné par une bonne amie au Théâtre NOUT (nuit, en égyptien), sur l'Ile St Denis, pour une adaptation du "Livre Blanc" de Jean Cocteau, oeuvre autobiographique où Cocteau relate son éveil adolescent à l'homosexualité. Le spectacle est osé, un poil trop expérimental hystérique 70 par moments (le metteur en scène égyptien est issu de l'Epée de Bois, La Cartoucherie de Vincennes, Mnouchkine and Co), avec un goût affirmé pour le grotesque et l'anti-réalisme, mais il y a de très belles scènes qui font mouche, surtout en deuxième partie, avec plusieurs bon(ne)s comédien(ne)s, et le texte est régulièrement splendide. Ca se passe dans un bel endroit, il y a une ambiance de café oriental, le décor, la musique, les boissons et repas servis par les acteurs eux-mêmes avant le spectacle. La pièce se rejoue de la mi-avril à juin.

 

 

 

J'ai vu d'autres pièces ce mois-ci, dont une très belle tirée de l'Homme qui rit de V. Hugo, pièce qui m'a réconcilié avec ce dernier (pourquoi l'Education Nationale inflige-t-elle 93, du même, à des branlotins de 14 ans, si ce n'est pour les vacciner à vie contre la Hugolite ? Liste non exhaustive), avec un acteur très convaincant, Laurent Schuh. Sa performance (il est seul en scène), et la scénographie (utilisation optimale de pas grand chose), rendent le propos captivant (le texte se pose un peu là, il faut dire). Il n'y avait pas grand monde, dans cette petite salle du XVIIIe arrondissement de Paris, le comédien avait l'air un peu dépité après le spectacle mais si je peux me permettre, affluence mise à part, je trouve qu'il n'y a rien de mieux pour le théâtre que ces petites jauges pour éprouver une intensité, une intimité, sans la présence pesante d'un public "éclairé" dans un cadre plus large, moins confidentiel. Après, bien sur, c'est un peu la loterie, dans ces petits lieux, et je sais, les acteurs aussi ont le droit de s'alimenter.

Les yeux oui, mais les oreilles ? les miennes m'ont dit merci ces temps-ci, avec des disques longs en bouche (Ne manque plus que le nez). Le mensuel Magic a consacré ses deux dernières couvertures à Venus et à Bed : bingo, l'un et l'autre sont de petits bijoux choux hiboux de lyrisme intime, lumineux l'un et l'autre. Le Venus est mouillé, réverbes Gilles-Marinesques obligent, le Bed plus sec et aérien, superbement produit. Autre réjouissance auriculaire, la découverte via le vendeur indé de chez Gibert et Silvain Vanot, croisé en ces lieux de tentation, des Angels of Light, le groupe(?) actuel de l'ex Swans Michael Gina. Jamais entendu causer auparavant de ces Anges de Lumière, qui méritent pourtant, en dépit du patronyme à faire fuir Bono lui-même, la plus grande attention de notre part. Comment décrire ça ? Du Folk Gothique expérimental ? Va pour. Comme un Nick Cave pas rangé des voitures. Des morceaux à rallonge, fourmillant de sons, de cassures, dissonances, tirant l'oreille sans jamais la lâcher, une voix de stentor élancée sur des montagnes russes ("mélodies" vocales parfois tout à fait improbables), avec de ci de là, un petit côté Passion Fodder, en plus détraqué. Le dernier, "Everything is good here / Please come home" distribué en nos villes par Chronowax, est très recommandable, mais personnellement, j'ai un petit faible pour l'importé "How I loved you" (1999), disque élégiaque, dédié à sa môman, avec au minimum deux titres d'anthologie, dont un "New York Girls" affolant, dans la catégorie reptile. Vous ne comprenez rien à ce que je raconte et c'est très bien comme ça. Jetez une oreille là dessus quand même, non, collez la dessus. Plus classique, dans le même registre, folk sombre, mais plus balisé, plus amusant aussi, presque, le disque solo du chanteur de New Model Army, Justin Sullivan, "Navigating by the Stars", qui, j'imagine après moult années de frustrations et d'obligations youtouuesques au sein de son power trio, a commis sa prévisible Léonard-Cohenerie. Ca pend au nez de tous les lyriques noisy ça, l'option vieux-sage, mais on sent que les vieux réflexes, l'option le-truc-qui-burne, ne sont jamais bien loin. En tout cas, c'est très joli, ça va bien dans ma salle de bains.

"Et toi, camarade, m'entends-je-dire, que fais tu de mieux ?"
Moi, camarade, justement, je chante "Mon camarade" de Ferré/Caussimon, et je remballe ma morgue. Car après avoir le mois dernier vertement tancé les chansonniers néo-passéistes, je viens de me commettre dans une reprise millésimée 1953 de la susdite chanson. Renaud Loetz, qui avait travaillé sur le live de Venus (encore eux), a fait les arrangements, j'ai chanté, ressorti le vibrato du tiroir, on a fait ça à l'ancienne, prise directe, musique et voix. C'était très agréable à faire, la harpiste enceinte peinait à attraper les cordes de basse avec ses petits bras. J'aime bien le résultat, assez fleuri. Fans hardcore de Remué s'abstenir. Fans de Bernard Lavilliers, welcome : Nanar et ses biscotos figurent en effet sur la compilation de Ferré. Joie, Joie.

Joie plus franche : un réalisateur castillan, Marc Recha, auteur de plusieurs longs métrages déjà, a décidé d'utiliser six de mes chansons pour son prochain film "Les Mains Vides" avec, sacrebleu, Olivier GOURMET, et Mireille PERIER, entre autres. Avant accord, j'ai pu visionner en salle son précédent film, "Pau et son frère" (2000) , et c'est très beau et puissant, ça pue l'intelligence à dix lieues à la ronde, la sensibilité à chaque coin de plan avec, partout, la vie qui envahit l'écran. Ils sont en train de finir le montage en vue de Cannes. Morceaux utilisés, beaucoup d'acoustique : "Avant l'enfer", "Les terres brunes", "Burano", "Un insouciant", "Va t'en" et "Nous reviendrons". Il me tarde, colonel.

Il y a un truc, j'ai failli oublier, qu'il faut aller voir si diffusé par chez vous, ce sont les 15 premières minutes des "Harmonies WEICKMEISTER" du hongrois BELA TARR. C'est une ouverture de film magnifique, dans un beau noir et blanc : dans une taverne d'une petite ville à l'Est de l'Europe, à l'heure de la fermeture, un jeune type fait mimer à l'assemblée de poivrots les mouvements célestes, les étoiles tournent les unes autour des autres, en un long plan séquence d'une incroyable fluidité. C'est d'une beauté soufflante. Après, hélas, ça se corse pendant deux longues heures, avec en point d'orgue une scène insupportable ; Lors d'un saccage d'hôpital par une population excédée, en révolte, la vision par les insurgés d'un petit vieux décharné dans une baignoire, mains pitoyablement posées sur son sexe, fait stopper net les violences ; à la suite de quoi, les saccageurs s'en retournent très longuement bras ballants sur fond de violonnades. Sous couvert d'humanisme, l'utilisation de ce vieil homme, de son corps pitoyablement mis en scène, censé incarner j'imagine les victimes des violences commises au nom d'idéologies, ainsi que cette interminable procession de révoltés contrits, pue le chantage à l'émotion, à la compassion (soeur de l'inaction), et s'avère d'une formidable obscénité, toute approche "naïve", par rapport à ce qui touche à la violence de masse, est irrecevable, insultante pour ceux qui ont eu à la subir. Et puis symboliquement, c'est nul, pauvrissime. Sans parler de la fin; dans un contexte d'après guerre civile et de restauration de l'ordre par des forces totalitaires, un personnage assène un "Ca n'a plus d'importance ... D'ailleurs plus rien n'a d'importance désormais" final, qui décourage toute indulgence ; sans oublier le gros plan sur un visage perclus de souffrance morale à la toute fin, qui évoque le tonnage de la baleine dont il est question dans le film. En résumé, pointez-vous à l'heure, marchandez le prix de l'entrée, expliquez à l'ouvreuse que vous n'allez rester que 15 mn, mais allez voir ce ¼ d'heure, et puis cassos.

J'aurais voulu vous parler de bandes dessinées, mais ça commence à faire, là, on verra ça le mois prochain, si la vie sur cette planète est encore envisageable. Portez vous bien.

 

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